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Récital Ludovic Tézier — Peralada

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Spectacle
20 juillet 2019
Quand un artiste s’épanouit

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Première partie

Franz Liszt (1811-1886)

S’il est un charmant gazon

Comment disaient-ils ?

Oh ! quand je dors

Robert Schumann (1810-1856)

Mondnacht

Hor’ich das Liedchen klingen

Franz Schubert (1797-1828)

An die musik

Ständchen

Hector Berlioz (1803-1869)

L’île inconnue

Deuxième partie

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

Abendempfindung an Laura , KV 523

Komm, liebe Zither, komm , KV 351

Sérénade «Deh, vieni alla finestra» de Don Giovanni , KV527

Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893)

Air du prince Eletski de La dame de Pique

Giuseppe Verdi (1813-1901)

La mort de Rodrigo de Don Carlo

Umberto Giordano (1867-1948)

« Nemico della patria » air de Gérard dans Andrea Chenier

Ludovic Tézier, baryton

Maria Prinz, piano

Peralada, Eglise des Carmes, samedi 20 juillet 2019 à 20 heures

Suivre la carrière de Ludovic Tézier, c’est parcourir les étapes d’une ascension qui l’amène aujourd’hui, au seuil de la maturité, à donner ce récital dont on sort ébloui, tant la richesse de la voix et sa maîtrise suscitent sans cesse l’admiration. Dans le cadre intime de l’église des Carmes de Peralada, la proximité favorise l’observateur qui peut suivre en direct la gymnastique continue grâce à laquelle l’artiste contrôle son émission et colore le texte, dont le surgissement semble si naturel à l’auditeur.

Cette impression de facilité, elle sera dominante, et par là même enivrante. On a beau savoir qu’en amont du beau chant qui nous est distillé il y a des années de travail, si elles ont poli et perfectionné l’instrument, la donnée de base est cette voix dont d’airain peut s’envelopper de velours. Il suffit qu’elle s’élance, dans la première mélodie de Liszt, pour que l’illusion d’un amour éthéré s’envole : l’amoureux qui chante est pétri de chair et de sang, la vigueur de la projection et le volontarisme affirmé (« j’en veux » appuyé) prennent une charge érotique inattendue mais très convaincante. La suivante théâtralise la poésie de Hugo avec une force qui libère jusqu’à subjuguer la plénitude et la rondeur de la voix, avant la subtilité finale d’un diminuendo avec trille, maîtrise jubilatoire. La dernière montre la force essayant de se dompter pour ne pas effaroucher ; elle se contraint, est un peu raide, mais il y a l’envol progressif jusqu’à « rayonnera » qui se renouvelle avec « s’éveillera », avant que le soupir final en voix mixte ne délivre de la charge érotique.

Les deux lieder suivants, de Robert Schumann, démontrent la même maîtrise de l’ampleur et des mezza voce. Dans le premier Ludovic Tézier réussit le tour de force, en dépit de l’amplitude sonore, de créer l’impression d’une confidence, d’une émotion intime qui s’exprime à haute voix, par les nuances multiples de l’émission et le poids accordé à certains mots. La réussite est la même dans le suivant, où la sobriété de la voix contenue fait accéder à un concentré d’émotion.

Pour An die musik  de Schubert le ton est celui d’une profession de foi, ferme, net, et la voix s’étend comme une draperie qui fascine en se déployant. Dans la sérénade qui suit elle ondule avec une souplesse qui enveloppe dans le moelleux de la pâte avant d’aspirer dans la légèreté de la montée vers l’aigu ; peut-être son éclat est-il si net qu’il nuit à l’intimité de l’appel, mais il le rend aussi irrésistible. L’ardeur se fait ensuite torrentielle, jusqu’à l’appel « komm », où elle reste fervente quoique contenue.

Avec Berlioz on renoue avec la dernière mélodie des Nuits d’été. Théophile Gautier accumule des termes précieux qui pourraient induire celle du chanteur. Il n’en est rien évidemment, avec cette voix qui se déploie telle la voile qui enfle et s’offre le luxe de s’alléger dans la dernière strophe avant d’assener la vérité qui dérange et de finir sur une superbe messa di voce.

Après l’entracte, voici Mozart, dans un lied écrit après la mort de son père. Le piano donne déjà le sentiment de l’inéluctable, de l’implacable, par des reprises obstinées dépourvues d’emphase. La voix se fait le vecteur de sentiments divers : contenue par l’abattement, soulevée par l’émotion, elle s’amplifie avec la méditation qui tend à l’universel, allant alors jusqu’à s’épanouir, avant de se replier pour une conclusion plus sobre. Le contraste est vif avec l’air consacré à la cithare, où la voix joue entre diverses intensités, avec des légèretés qui ébahissent et enchantent.

C’est encor Mozart pour l’air qui sert de transition entre mélodie et lied et l’opéra, la sérénade de Don Giovanni, « Deh, vieni alla finestra ». L’avouerons-nous ? L’exécution a été irréprochable, techniquement, mais ici le potentiel érotique nous a semblé paradoxalement en veilleuse, alors qu’il est l’aimant de la scène.

En revanche, la force et la sincérité de l’amour du prince Eletski, dans La Dame de pique, Ludovic Tézier les exprime avec une conviction qui semble l’expression directe du sentiment, portée par l’intensité et l’ampleur de la voix, dont le déploiement, à la reprise, emporte dans une vague où la compassion pour le personnage se mêle à l’admiration pour l’artiste qui sait si bien en communiquer la noblesse passionnée.

Ce sommet aurait pu rester unique ; mais qui connaît le baryton dans le rôle de Posa attend beaucoup. Il ne sera pas déçu, tant Ludovic Tézier habite ce héros ; il en connaît toutes les nuances et il use de sa voix en virtuose pour tenir compte de la situation dramatique du blessé sans sacrifier la beauté vocale. Autant dire qu’on suit le cœur dans la gorge les étapes de cette agonie, dont le dernier accent soulève l’auditoire comme un seul homme pour acclamer le chanteur.

Et pourtant, ce n’est pas fini : il reste l’air de Gérard, d’Andrea Chénier, quand le révolté devenu révolutionnaire, en position de faire tuer son rival, opère un amer examen de conscience. Comment convaincre encore sans perdre de l’altitude ? Ludovic Tézier avance sans trembler ; son Gérard est sanguin, primaire, dans la quête des motifs justifiant la mort de Chénier. Mais au fond c’est un cœur pur : il voulait chasser du monde l’injustice, et à son tour il y contribue. Il en souffre, et son chant le dit. C’est tout l’art de Ludovic Tézier de nous rendre sensibles à sa souffrance sans la surligner : si la voix se fait cri, il vibre sous contrôle, et c’est un des moments fascinants où la maîtrise technique du chanteur est perceptible en direct, avant l’estocade finale d’une longue tenue.

Accueillant avec le sourire la gratitude tonitruante d’un public déchaîné, l’artiste concèdera deux bis, dont une merveilleuse Romance à l’étoile, peut-être une façon discrète de souligner sa versatilité. Combien de Wolfram aujourd’hui possèdent cette onctuosité vocale ? C’est avec Richard Strauss et un Zueignung étincelant que Ludovic Tézier nous tire sa révérence.

Sa partenaire, Maria Prinz, un peu trop présente dans les Liszt initiaux, s’est montrée ensuite une accompagnatrice parfaite, dont le toucher élégant sait se faire dramatique ou primesautier, et dont l’exactitude rythmique constitue sans aucun doute un élément important de la réussite de ce concert. On en sort ébloui et heureux d’avoir été témoin de cette étape de l’épanouissement d’un grand artiste.

 

 

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