Karita Mattila a tissé depuis de nombreuses années des liens particuliers avec le Théâtre du Châtelet. En 2013, elle y avait donné un récital dans lequel Poulenc, Debussy et Duparc côtoyaient le finlandais Sallinen et l’autrichien Joseph Marx. La voici de retour avec un programme passionnant, consacré cette fois à quatre grands maîtres du Lied allemand.
Très élégante dans une robe rouge vif, un châle noir négligemment jeté sur les épaules, la soprano ouvre la soirée avec les Zigeunerlieder de Brahms. Les deux premiers airs sont attaqués en force, la cantatrice cherchant à discipliner une voix qu’elle ne parvient pas à contrôler tout à fait. Finalement, les tempi rapides de ces mélodies permettent à l’instrument de se chauffer rapidement et dès le troisième Lied, « Wisst ihr wann mein Kindchen », la ligne de chant se pare de quelques nuances bienvenues. « Kommt dir manchmal in den Sinn », seule mélodie lente du recueil, est interprétée avec de somptueuses demi-teintes et un phrasé élégant, parfaitement maîtrisé. L’élégance, c’est justement ce qui caractérise l’interprétation des Wesendonck Lieder dont Karita Mattila propose une version en tout point exemplaire. A l’exaltation de « Stehe still » succède la tendresse nimbée de nostalgie de « Im Treibhaus », le timbre clair aux teintes opalescentes de la chanteuse fait ici merveille. Un « Schmerzen » poignant suivi d’un « Träume » chanté sur le souffle, comme en apesanteur, achèvent cette première partie dans un silence recueilli qu’aucune toux ne vient perturber.
Après l’entracte, Karita Mattila, radieuse, revient sur la scène sous les ovations d’un public fervent et fidèle à défaut d’être pléthorique. Vêtue cette fois d’une robe noire fendue sur le côté et d’un châle rouge, la soprano interprète les quatre Lieder d’Alban Berg d’une voix ronde et saine qui s’épanouit dans les envolées puissantes vers l’aigu de « Warm die Lüfte ».
Les Lieder de Strauss avec leur écriture éminemment lyrique conviennent idéalement aux moyens de la cantatrice. Elle les aborde avec une plénitude vocale totalement retrouvée et une diction limpide au service d’une interprétation de haute volée. La voix se fait enjouée dans « Der Stern » puis vient un « Wiegenlied » envoûtant, impeccable de ligne, orné de délicates nuances, l’un des sommets de la soirée. La douce mélancolie de « Ach Lieb, ich muss nun scheiden » contraste avec l’allégresse communicative qui s’exprime dans « Wie Solten wir geheim sie halten ». Le cycle se conclut avec un « Cäcilie entraînant couronné par un aigu ample et lumineux.
Au Piano, Martin Katz est un partenaire attentif et précis, respectueux du style de chaque compositeur, Richard Strauss en particulier où il se montre à son meilleur.
Changement d’atmosphère avec le premier bis, « Eine kleine Sehnsucht », une chanson de cabaret sur un rythme chaloupé de tango, signée Friedrich Hollaender qui offre l’occasion à la cantatrice d’esquisser quelques pas de danse pour la plus grande joie de ses admirateurs. Puis, la voix remplie d’émotion, Karita Mattila explique à quel point elle est heureuse de se retrouver sur cette scène chargée pour elle de grands souvenirs. Celle qui fut en ces lieux une magnifique Arabella, une Jenufa d’anthologie mais aussi Leonore (Fidelio) et Desdémone face à l’Otello de José Cura, toutes deux en concert, exprime sa reconnaissance en envoyant de la main des baisers en direction de la salle et de la scène avant d’offrir en guise de remerciement ultime un « Zueignung » bouleversant.