La nouvelle saison du Festspielhaus de Baden-Baden a commencé ce samedi 20 septembre avec une invitée de choix en la personne de Joyce DiDonato qui inaugure ainsi sa tournée d’accompagnement de la sortie de son Stella di Napoli. Dans un programme proche de celui de ce nouvel album, la diva se montre très à l’aise et convainc un public de toute façon acquis d’avance, ravi de la rentrée et conquis par une prestation époustouflante. Reste une petite frustration pour les amateurs de Bellini : alors que le disque comprend deux airs d’opéras, on n’est gratifié ici que du rare Adelson et Salvini, l’air de Roméo des Capuleti étant remplacé par l’ouverture de Norma. De même, la sublime prière de Maria Stuarda que la belle Américaine a beaucoup chanté sur scène ces derniers temps est sacrifiée. Pour nous consoler, un seul rappel, qui ne figure pas sur le CD tout juste sorti dans les bacs, mais permet à Joyce DiDonato de terminer par un feu d’artifice rossinien éblouissant : le « Tanti affetti in tal momento » de la Donna del lago, qu’elle exécute comme à la parade.
Superbe dans une extravagante robe asymétrique noire constellée de brillants puis dans un étonnant fourreau rouge à la Gaultier après la pause, la diva arbore une coiffure qui rappelle au moins autant Annie Lennox que Casque d’Or et sa présence sur scène en ferait presque une héroïne hitchcockienne. Dès l’entame, avec l’extrait de Stella di Napoli de Pacini, on sent une maîtrise et une forme idéales chez la mezzo. La ligne de chant est impeccable, les descentes chromatiques cascadent avec la virtuosité qu’on lui connaît dans ses meilleurs jours, les graves sont amples et solides et les amoureux de bel canto ont de quoi se délecter avec ce mélange de morbidezza et d’autorité. Peut-être manque-t-il un peu d’émotion pour nous tirer des larmes, notamment pour l’extrait d’Adelson e Salvini de Bellini : « Dopo l’oscuro nembo », pourtant très expressif et impeccablement interprété… Pendant près de deux heures, on retrouve la cohérence déjà appréciée sur le CD : les airs sont très représentatifs du bel canto et donnent à la chanteuse l’opportunité de montrer toute l’étendue de ses moyens et une maturité rayonnante. Les airs les plus connus sont tout aussi agréables à entendre que les découvertes plus rares, comme Le Nozze di Lammermoor de Carafa, la Saffo de Pacini ou La Vestale du trop rare et injustement méconnu Mercadante.
© Andrea Kremper
Élégante et impressionnante de facilité apparente tout en décontraction, la superbe américaine le déclare d’ailleurs elle-même au moment où on la gratifie d’un énorme bouquet de roses à la fin du concert : « I’m very relaxed here », tout en précisant qu’elle apprécie la ville, ses bains et l’ambiance du Festspielhaus, à la grande satisfaction du public. Elle remercie dans son discours l’Orchestre de l’Opéra National de Lyon, effectivement impeccable (avec une mention spéciale pour la harpe et les bois) et rend hommage au chef Riccardo Minasi, que le passé dédié à la musique baroque notamment aux côtés de Jordi Savall n’a visiblement pas empêché d’être ostensiblement en phase avec le bel canto. « Il dirige cette musique comme si elle était la plus importante au monde », précise-t-elle. C’est bien ce qu’il semble à voir le chef virevolter et distribuer avec passion et sensualité ses indications à l’orchestre. Sa direction habitée à la gestuelle hyper expressive a même volé la vedette par moments à la diva, pourtant intensément présente. À chaque fois qu’elle quittait la scène, on ne voyait plus que lui. Rarement l’Ouverture de Norma a été dirigée aussi frénétiquement, faisant alterner le caractère élégiaque avec la tension dramatique dans une chorégraphie de magicien que le public et les musiciens ne pouvaient que recevoir de façon fusionnelle. Véritable spectacle à lui tout seul, le chef a aussi été salué par sa diva pour son choix de partitions sorties de la poussière et de l’oubli, comme la passionnante et trop rare Ouverture d’Alzira de Verdi, dont les liens avec le bel canto paraissent ici évidents.