Le Stabat Mater, un opéra déguisé en habit d’ecclésiaste ? Le reproche formulé à l’encontre d’un des derniers chefs d’œuvre de Rossini nous semble aujourd’hui dépassé. Nos temps, matériels et virtuels, sont si peu spirituels qu’un simple texte chanté en latin, fût-ce dans un théâtre, suffit à évoquer les transports de la foi. Et quand bien même, on en douterait, l’interprétation de Gianandrea Noseda, invité avec ses forces turinoises pour la 4e saison consécutive au Théâtre des Champs-Elysées, réussirait à convertir le plus opiniatre des infidèles. Comment ? En prenant l’auditeur à rebrousse-poil, c’est-à-dire en exacerbant l’aspect théâtral plutôt qu’en cherchant à exalter la dimension oratoire de la partition. Devenue religieuse à force de puissance, l’œuvre se dresse terrifiante et splendide, parée de couleurs et de contrastes violents auxquels acceptent de se plier chœur et orchestres hypnotisés par une direction qui est un spectacle en soi. Démiurge dansant du haut de son pupitre, le maestro balaye l’air de larges gestes, tend son bras vers un pupitre puis l’autre, saute, se plie, se redresse et s’ébroue comme si le son était matière qu’il lui faille sculpter. Le tempo plus rapide que l’habitude obéit à ce parti-pris rugissant. Entre chaque séquence, un silence que d’autres interprétations n’observent pas forcément, aide à ce que la tension, insoutenable sinon, retombe. Les solistes sont placés au cœur de l’orchestre comme pour empêcher toute tentative de faire de leur air un numéro. Ni diva, ni divo ici mais un seul Dieu, de colère, qui donne à ce Stabat Mater la portée d’un vaste Dies Irae.
Cette disposition des chanteurs n’est pas incompatible avec la beauté des quatre voix réunies face au chef (ce qui, selon la position de l’auditeur dans la salle peut cependant être préjudiciable à la diffusion du son – le ténor dans notre cas). Mirco Palazzi, dont le chant toujours très recueilli, aurait pu ne pas se satisfaire d’une lecture si ostentatoire, se prête au jeu d’un « Eja Mater Fons Amoris » où chœur et basse conversent sur un mode presque badin. Auparavant, « Pro peccatis suae gentis », drapé de noirs accents, est d’une majesté souveraine. A l’inverse, le tempérament flamboyant de Daniela Barcellona se délecte naturellement de cette lecture caravagesque dont elle se plait même à accentuer les clairs-obscurs. « Fac ut portem » envisagé par certaines comme une berceuse qu’il nous est arrivé de trouver un peu fade, prend un relief dramatique insoupçonné, à l’égal presque de l’« Inflammatus ». Soprano invitée régulièrement à Montpellier, Erika Grimaldi dès les premières notes du « Quis est homo » laisse à comprendre pourquoi elle fut distinguée au début de sa carrière par Riccardo Muti. Elle a dans le timbre des griffes qui harponnent et dans le ton, une éloquence qui habille les mots de sens. Ce lyrisme inné, cette ardeur naturelle achèvent de se consumer dans l’angoisse d’un « Inflammatus » transpercé de contre-ut fulgurants. Originaire de Sardaigne, Piero Pretti a pour seule limite un ré bémol aigu vite abrégé pour ne pas déraper. Cela n’empêche pas le « Cujus animam » d’avoir fière allure, tracé d’une ligne sûre et porté par une voix de ténor attrayante, égale, héroïque et applaudie déjà un peu partout – Munich, Vienne, Milan… –, sauf à Paris.
En première partie, Rossiniana composée en 1925 par Ottorino Respighi est une curiosité dont l’Orchestre du Teatro Regio souligne à propos le brillant. Surtout l’ouverture de Guillaume Tell, frappée en son cœur par un orage cataclysmique, apparaît a posteriori comme l’heureux présage du ciel qui, avec ce Stabat Mater, allait en deuxième partie tomber sur nos têtes.