Alors qu’elle fêtera ses 71 ans, le 23 décembre prochain, Edita Gruberova a entamé une tournée des concerts pour célébrer ses cinquante années sur scène. Pour cette halte berlinoise, la diva slovaque est apparue dans une forme vocale exceptionnelle, dans un programme, moyennement spectaculaire sur le papier, mais qui convient à ses moyens actuels (à l’inverse, Gruberova vient encore de chanter Lucia di Lammermoor à Osaka en novembre dernier…).
La première partie est consacrée à Mozart. L’air « Traurigkeit ward mir zul Lose » extrait de Die Entführung aus dem Serail est admirablement conduit avec une voix d’une fraîcheur incroyable et une réelle incarnation dramatique, en particulier dans les récitatifs. « Crudele ! Ah non, mio bene », tiré de Don Giovanni, nous ramène des décennies en arrière. Avec « D’Oreste, d’Ajace » d’Idomeneo, nous retrouvons une Gruberova plus actuelle, un brin déjantée dans ses piqués hystériques. L’enthousiasme de la salle est malheureusement refroidi entre deux airs par les interventions de Hans-Jürgen Schatz, maître de cérémonie chargé de retracé la carrière de la chanteuse tout en remettant les airs dans leur contexte. Initialement, le programme annonçait sobrement « Addio del passato ». En fait, au prélude et aux chœurs près, il s’agit de l’intégralité de l’acte III de La Traviata. On n’attendait pas nécessairement Gruberova dans ce rôle (encore qu’elle reste une des meilleures Violetta qu’il nous ait été donné d’entendre sur scène dans les années 80). La lecture de la lettre donne le frisson. L’air est chanté avec une quasi perfection musicale (la perfection absolue ne serait pas de mise dans cette scène) avec des sons filés frémissants, une émotion à fleur de peau, une vraie intelligence du texte. La présence scénique est incroyable, même dans des moments très courts comme le récitatif avant l’air ou le dialogue avec Annina avant l’arrivée d’Alfredo. Quand tous ces éléments se conjuguent, il devient impossible de ne pas fondre et nous n’étions pas seuls à avoir les yeux rougis. L’entourage est de très bon niveau. Matthew Newlin est un Alfredo stylé et investi. Markus Brück impressionne par la puissance de sa voix. Nicole Haslett est une Annina discrète mais d’une belle sensibilité. En Dottore Grenvil, le jeune Andrew Harris offre une magnifique voix de vraie basse.
La seconde partie s’achève avec la désormais classique scène finale de Roberto Devereux, cheval de bataille de la soprano, toujours un peu histrionique mais diablement excitante, d’autant que le suraigu final est plutôt réussi. Deux bis achèvent de mettre la salle en feu : l’air d’entrée d’Elisabeth de Tannhäuser, juste incroyable de fraîcheur et « Mein Herr Marquis » de Die Fledermaus, avec intervention vocale du chef d’orchestre, splendide d’abattage et d’humour. A la tête de de la formation du Deutsche Oper, Peter Valentovic offre un accompagnement efficace, avec quelques belles pièces orchestrales, notamment l’ouverture Die Entführung aus dem Serail, particulièrement réussie.