Mezzo-soprano qui se signala l’an passé par son premier prix au Concours international de chant baroque de Froville, Anaïs Bertrand nous propose un programme articulé autour de deux œuvres principales : une pièce contemporaine pour mezzo et viole de gambe, et la fameuse cantate La Lucrezia, de Haendel. Elle est accompagnée par Robin Pharo, violiste, et Grégoire Langraud, qui passera du clavecin au positif, pour assurer la basse continue.
Le Lagrime amare, de Mazzocchi, conduit avec souplesse et naturel, permet à notre mezzo d’exhaler sa plainte en un récitatif dramatique d’une grande variété. Un air de l’oratorio La Giuditta, d’Alessandro Scarlatti, «Dormi, o fulmine di guerra», confirme les qualités d’Anaïs Bertrand : la voix est solide, ample et projetée à souhait, avec un beau médium, assorti d’aigus colorés et de solides graves.
Le cycle de Fabien Touchard, présenté par la soliste, s’articule autour de trois textes (The Waves, The Rose of Sharon, The Lake Isle of Innisfree) reliés par des interludes à la viole. L’usage original de cette dernière lui permet d’accompagner et de dialoguer avec la voix, dans un registre contemporain approprié aux textes. La première mélodie surprend par sa ligne. L’extrait du Cantique des Cantiques confirme les tournures orientales, sensuelles, avec les passages rythmés à la viole de gambe. Enfin, le poème de Yeats, animé, lyrique, couronne l’ensemble, dont les inflexions nostalgiques nous renvoient parfois aux pièces élisabéthaines. Malgré les qualités d’articulation d’Anaïs Bertrand, il faut, une fois encore, déplorer la méconnaissance des textes chantés à laquelle est réduit le public.
L’histoire de Lucrèce, résistant aux avances de Tarquinus, et son viol, auront inspiré plus d’un musicien, jusqu’à Britten. La cantate dramatique de Haendel (La Lucrezia, HWV 145), illustrée par toutes les mezzos depuis Janet Baker, nous vaut un récit dense, aux climats renouvelés. Anaïs Bertrand y excelle, bien qu’accompagnée de façon appliquée, sans âme. Ses graves sont splendides (« la vendetta »), le dénouement est particulièrement touchant, avec un accompagnato expressif. L’engagement est manifeste, la palette de couleurs, large, les vocalises éclatantes. Un mezzo comme on les aime, à la voix pleinement épanouie, égale, d’une articulation exemplaire.
Les deux interventions purement instrumentales, un adagio de Corelli, une pièce de Frescobaldi, se laissent écouter sans déplaisir, honnêtes, sans plus. Le récital s’achève par l’aimable divertissement « Quel sguardo sdegnosetto », deuxième des Scherzi musicali de 1632, de Monteverdi. Anaïs Bertrand prend manifestement plaisir à le chanter, et nous fait partager sa joie.