Joseph Haydn (1732 – 1809)
L’INFEDELTA DELUSA
Opéra en deux actes
Mise en scène : Richard Brunel
Scénographie : Anouk Dell’Aiera
Costumes : Marianne Delayre
Lumières : David Debrinay
Dramaturge : Catherine Ailloud-Nicolas
Vespina : Claire Debono
Sandrina : Irina Kringelborn
Filippo : Yves Saelens
Nencio : Julian Prégardien
Nanni : Thomas Tatzi
Orchestre « Le Cercle de l’Harmonie »
Clavecin : François Guerrier
Direction : Jérémie Rhorer
Rafraîchissant Haydn
Créé le 26 juillet 1773 à la cours d’Esterháza, L’Infedelta delusa fut repris en septembre à l’occasion d’une visite de l’Impératrice Marie-Thérèse, ce qui aurait fait dire à celle-ci « « Pour voir un bon opéra, il faut aller à Esterhazà ».
Malgré ce jugement flatteur, la postérité n’a pas été tendre avec son compositeur. Les œuvres lyriques de Haydn restent rarement jouées et l’on attend toujours une intégrale de ses opéras.
L’Infedelta delusa mérite pourtant tout notre intérêt ; historiquement d’abord, en ce qu’elle annonce le Cosi fan tutte ; pour ses mérites dramatiques ensuite ; pour ses qualités musicales enfin, malgré l’inévitable comparaison avec Mozart. Crevons l’abcès tout de suite : on ne trouvera pas dans cet ouvrage les mélodies inspirées de Cosi. Celles de Haydn apparaissent un rien plus laborieuses. Mais les qualités du musicien sont ailleurs : dans un discours toujours renouvelé, alternant les formes, osant des développements originaux (les premières scènes de l’acte I s’enchaînent ainsi sans discontinuité). Il y a chez Haydn des audaces, des originalités à l’opposé du relatif formalisme mozartien, qui font tout le prix de ce compositeur. Jusque dans les tessitures choisies : le paysan aisé berné (un rôle typique de « vieux barbon » de comédie) est ici un ténor dont l’écriture vocale est rien moins que sacrifiée.
L’histoire se déroule en Italie en 1700. Sandrina, une jeune paysanne, semble résignée à épouser Nencio, un paysan aisé, sous la pression de son père Filippo. Pourtant, la jeune fille est amoureuse d’un autre paysan, désargenté cette fois, le jeune Nanni, dont la sœur Vespina (on pense bien sûr à la Despina de « Cosi ») était autrefois l’amoureuse de Nencio.
Pour retrouver son amant et venir au secours de son frère, Vespina multipliera les déguisements. Habillée en vieille femme, elle fait croire à Filippo que Nencio a abandonné sa fille après l’avoir séduite ; sous le déguisement d’un serviteur allemand, elle annonce à Nencio les noces prochaines de Sandrina avec son maître ; quand enfin elle se fait passer auprès du même Nencio pour le nouveau fiancé de Sandrina, le marquis de Ripafratta, c’est pour lui annoncer son intention de faire épouser la jeune fille à son domestique. Ainsi tournés en bourrique, les différents protagonistes se retrouvent pour une cérémonie où l’imaginative Vespina (cette fois déguisée en notaire) met un point final au délire général en mariant Sandrina à son cher Nanni.
Coproduite avec le Festival d’Aix en Provence, L’Infedelta delusa créa la (bonne) surprise l’été dernier, au sein d’un cru plutôt décevant. Elle vaut d’abord par son exécution vocale, la distribution étant dominée par l’épatante Vespina du jeune soprano maltais Claire Debono. Mais son abattage, et un réel tempérament comique, ne doivent pas nous faire oublier que la jeune chanteuse est également à son aise dans les parties plus virtuoses de la partition. Claire Debono n’est pas simplement « une future Despina » : son air du premier acte, interprété avec aplomb, nous démontre aisément que la chanteuse est loin d’avoir atteint les limites de ses moyens avec de simples emplois de comédies. Seule interrogation : comment la voix passerait-elle dans une plus grande salle ? De toute façon, voilà assurément, une artiste à suivre de près.
Dans le rôle également difficile de Nencio, le jeune ténor Julien Prégardien est une autre bonne surprise. Le style est typiquement mozartien, avec une émission assez couverte, mais le timbre est riche et les harmoniques en seraient sans doute plus perceptibles avec une projection plus franche.
Quoiqu’encore un peu verte, le soprano Irina Kringelborn se tire très bien des difficultés de son grand air. Malheureusement, le rôle est un peu sacrifié et ne nous permet pas d’apprécier « sur la distance » les talents de la chanteuse.
Yves Saelens en Filippo et Thomas Tatzi en Nanni complètent efficacement cette distribution tout à fait honorable.
A la tête de sa remarquable formation, Jérémie Rhorer anime sans faille le plateau : du nerf, de la vigueur (un peu trop parfois, les chanteurs pouvant être couverts à certaines occasion) et un indéniable sens du théâtre. On appréciera également une bonne maîtrise technique ; ni couacs, ni décalages : on a vu des orchestres plus prestigieux faire bien pire !
De la mise en scène de Richard Brunel, on retiendra surtout une habile direction d’acteurs et un incontestable sens du théâtre ; en un mot, la mayonnaise prend. On pourra être plus circonspects quant à l’aspect visuel. Le décor a des airs de « déjà vu » (premier acte du Faust de Lavelli, Barbier de Paisiello… et j’en oublie sûrement) ; quant aux costumes, ils sont d’un grisâtre un peu tristounet.
Le spectacle continue sa tournée dans quelques villes de France (et à Monte-Carlo !) : vous aurez compris qu’il ne faut pas le manquer.
Placido Carrerotti.