La belle Matilde est de retour à Pesaro et avec elle Juan Diego Florez, l’enfant chéri du festival Rossini, dont la carrière est intimement liée à Corradino, l’homme au cœur de fer.
L’intrigue de ce melodramma giocoso est on ne peut plus simple et universelle. Corradino est un homme cruel et belliqueux, comme l’attestent deux maximes qu’il a fait graver sur la façade de son château : « Qui entre ici sans y être invité aura le crâne fracassé » et « Qui ose ici troubler la quiétude mourra de faim et de soif ». Le malheureux poète qui vient s’aventurer céans paré de ses rimailles aura tôt fait de provoquer l’ire du maître des lieux. Pire encore, Corradino ne supporte pas le sexe dit « faible ». Malgré les ruses d’une rivale coriace, la comtesse d’Arco, Matilde va s’employer à faire changer d’avis le goujat, en le charmant et en le mettant à ses pieds (il lui faudra tout de même près de 4 heures, entracte compris, pour arriver à ses fins !).
On retrouve intact le charme de la production de Mario Martone créée ici même en 2004 (avec Annick Massis en Matilde, qui a fait l’objet d’un enregistrement) puis reprise à Londres en 2008 (voir la recension de Christophe Rizoud). Le décor simple mais ingénieux, avec son double escalier en colimaçon, la beauté des costumes (la robe de Matilde !) et surtout la finesse du jeu de scène sont toujours irrésistibles.
Irrésistible, Juan Diego Florez l’est également dans ce rôle fétiche qui l’a fait connaître dès 1996 dans ces mêmes lieux et dont il a fait son cheval de bataille. Peu de choses ont changé depuis Londres, si ce n’est peut-être quelques menues duretés dans la voix. Mais la performance est toujours virtuose et époustouflante, le ténor se jouant d’une partition hérissée de difficultés. Il s’en donne par ailleurs à cœur joie en tyran tourné en ridicule, se pâmant, se roulant par terre, très loin de la retenue qu’on lui connait parfois.
Pourtant, Corradino a beau trépigner, l’issue du combat qu’il mène contre la gente féminine ne fait aucun doute dès l’entrée d’Olga Peretyatko, dans une somptueuse robe carmin : le drôle n’a aucune chance de résister, pas plus que le public de l’Adriatic Arena qui réserve à la chanteuse une ovation à l’issue du spectacle. La soprano russe ajoute à un physique ravissant une grande aisance scénique, que ce soit dans les passages comiques (le duo hilarant avec le médecin sur lequel elle teste ses charmes) ou dans les moments plus dramatiques. Et comble de bonheur, le chant est au diapason. La fraîcheur du timbre, pulpeux et fruité, la grâce des vocalises, la belle cohésion de la voix qui s’épanouit peu à peu dans le grave font d’elle une Matilde idéale. On a hâte de la retrouver en Elvira des Puritains en novembre (à Lyon puis à Paris).
Comme souvent à Pesaro, la réussite du spectacle tient beaucoup à la cohérence de la distribution. Les basses répondent présentes, le médecin Aliprando de Nicola Alaimo prenant quelque peu le pas sur Simon Orfila (Ginardo), à l’aigu facile mais moins sonore. Si le colosse sicilien nous avait laissés un peu sur notre faim en Ezio dans Attila en juin à Rome, il nous rassure parfaitement ce soir : puissance, flexibilité de la voix, présence dramatique, il confirme qu’il va falloir compter avec lui dans le futur. Incontournable dans les personnages bouffes, Paolo Bordogna (Isodoro) jubile en poète sur lequel les muses ont oublié de se pencher. Vocalement son baryton léger mais bien projeté est parfaitement à sa place.
Les autres protagonistes féminines sont plus en retrait. En Edoardo, prince retenu prisonnier par Corradino, Anna Goryachova fait montre d’une belle ligne et d’un aigu percutant. Une incarnation un peu timide et un médium manquant de caractère peinent cependant à donner tout son relief au personnage. La comtesse d’Arco de Chiara Chialli, au contraire, sonore et un peu brute de décoffrage, ne risque pas de passer pas inaperçue.
La soirée n’aurait pas été accomplie sans la prestation de haut niveau de l’orchestre de Bologne sous la direction de Michele Mariotti (accessoirement fils du surintendant du festival Rossini et époux d’Olga Peretyatko, voir notre brève). Le chef principal de la formation bolognaise sait enflammer sa phalange, mettant en valeur ses couleurs (cuivres mordorés, flûtes acidulées, cordes soyeuses) et sa virtuosité.
Version conseillée :
Rossini: Matilde di Shabran | Gioacchino Rossini par Annick Massis