Peter Stein nous avait mis l’eau à la bouche (cf. l’entretien qu’il nous accordé) et c’est impatiemment que nous attendions ce Macbeth, issu de sa première collaboration avec Riccardo Muti. Le résultat a été à la hauteur de notre attente malgré quelques petites faiblesses de réalisation, attribuables au temps alloué aux répétitions scéniques : quatre au lieu des six semaines habituellement proposées aux metteurs en scène.
Visuellement, tout d’abord. Quand la salle s’éteint, la réflexion de la lumière de la fosse laisse deviner, à contrejour, les courbes harmonieuses d’un paysage ondulé dominé par une butte ronde excentrée, évoquant les paysages schisteux de la lande écossaise. Ce magnifique décor de Ferdinand Wörgerbauer, fidèle partenaire de Peter Stein,est constitué d’une structure de bois recouverte d’un épais tapis d’une soixantaine de centimètres fait de multiples couches de feutre gris où s’intercalent d’invisibles plaques de bois. Idée de génie, ce sol insolite rend tout déplacement silencieux. Les arcades de la Felsenreitschule, mises en valeur grâce à des éclairages d’autant plus élaborés que les portants sont réduits à la portion congrue, évoquent celles de l’extraordinaire cimetière Saint-Pierre à Salzbourg.
Musicalement, ensuite. Les récents travaux ont considérablement amélioré l’acoustique de la salle. Quand Riccardo Muti, qui affectionne tout particulièrement cette œuvre, lève sa baguette magique, les voix funèbres du hautbois, de la clarinette et du basson du Wiener Philhamoniker, son ami de toujours, s’élèvent de la fosse,comme venues d’outre-tombe, exposant le sinistre motif des sorcières. Nous voilà immergés aussitôt dans le drame shakespearien que Verdi a si divinement transcrit en musique. Chef et orchestre possèdent une connaissance si intime de cet opéra mythique que ses secrets nous sont révélés peu à peu, avec une économie remarquable de moyens.
La fusion entre interprétation musicale et scénique tant souhaitée par Verdi se manifeste dès la première scène, particulièrement fascinante, où le chœur des sorcières, métamorphosé en un peuple d’arbres et de buissons tourmenté par le vent qui souffle sur la lande, seconde dans leurs préparatifs les trois sorcières, interprétées par des acteurs : trois êtres fantastiques, immenses, livides, enveloppés d’un long voile blanc transparent qui ne cache pas leur horrible nudité, directement sortis du tableau célèbre de Füssli. Peter Stein a su magistralement trouver, tout au long du spectacle, des équivalents scéniques à la dimension infernale et divine de la partition. Ainsi le meurtre de Banco qui, serrant son fils contre lui, erre, aveugle, dans la nuit, au milieu de mystérieux personnages immobiles, drapés dans une cape qui les dissimule entièrement. Véritables incarnations de la Mort, ils dissimulent ses assassins. Ou encore la scène poétique des sylphes, qui évite tout kitsch, où de très jeunes enfants, pieds nus, tout de blancs vêtus, courent et dansent dans toutes les directions avant d’entourer le roi Macbeth endormi. Bouleversante également, l’arrivée des quatre jeunes gens portant les enfants assassinés à leur père. Très spectaculaire enfin, le combat des Anglais contre les Ecossais et le duel Macbeth/ Macduff.
Plus discutables, les costumes troubadours des invités, des soldats et des réfugiés, insuffisamment distanciés, ou encore la scène du banquet, assez convenue. Il manque aux apparitions spectrales, trop réalistes, la dimension fantastique des trois sorcières et de la végétation incarnée par le chœur. La direction d’acteurs des personnages secondaires reste superficielle, probablement par manque de temps. Inversement, celle des personnages principaux, intense et intériorisée, suscite l’admiration, en particulier durant les longs arie pour lesquels le metteur en scène n’a pas usé des subterfuges courants afin de « meubler » le vide apparent de l’action. Stein a mis en valeur l’interdépendance du couple Macbeth, lié aussi bien par les sens que par un désir maladif du pouvoir en insistant sur la relation fusionnelle du couple, l’extase partagée du meurtre accompli.
Depuis ses débuts dans le rôle au Teatro Regio de Turin (2002), Tatjana Serjan est devenue une Lady Macbeth de référence, acclamée dans le monde entier, en particulier lors d’une tournée au Japon sous la direction de Riccardo Muti avec lequel elle semble en parfaite empathie. Outre sa magnifique incarnation scénique du personnage et sa grande beauté, elle subjuguepar son intime connaissance de la partition et son total engagement. On admire aussi son extraordinaire capacité à trouver les inflexions vocales pour traduire des sentiments si contrastés, du chant souple et homogène du brindisi aux accents de folie hallucinatoires de la scène de somnambulisme, en passant par la noirceur du timbre et l’extraordinaire projection du « O volutta del soglie » dans « La luce langue ». Les vannes du sur-moi étant levées, la pulsion de mort s’exprime alors dans toute sa violence et sa volupté. Et cette beauté vocale dans l’horreur, contrairement à ce qu’imaginait Verdi, sert admirablement la partition.
Le rôle de Macbeth est sans conteste, théâtralement parlant, l’un des plus difficiles du répertoire verdien. En effet, son étroite dépendance avec son épouse, contrairement à celle de Telramund pour Ortrud, n’est ni de la faiblesse, ni de la soumission. Si Lady Macbeth parvient aisément à lui communiquer sa passion du pouvoir, elle échoue à lui faire partager sa jouissance éprouvée à ôter la vie. Grâce à l’excellence de la direction d’acteur et de la direction d’orchestre, Zeljko Lucic n’incarne donc pas l’anti-héros convenu. Son Macbeth est un véritable héros, qui reconnait et affronte ses faiblesses, acceptant les conséquences de ses actes. Sa vaillance vocale qui n’exclue pas la souplesse, son excellente projection, sa large palette de nuances, son sens du phrasé et du rythme, sa musicalité, son timbre d’airain et son total investissement dans son personnage le placent haut dans la hiérarchie des tenants internationaux du rôle.
Dmitry Belosselskiy, baryton basse au timbre riche en harmonique et à la technique impeccable, interprète un Banco imposant et subtil, particulièrement émouvant dans la scène du crime. Antonio Poli, très remarqué dans la production du Mercadante au Festival de Pentecôte 2011 (cf. notre compte-rendu) apporte du relief au personnage de Malcom tandis que le Macduff de Giuseppe Filianoti dont le timbre solaire convient particulièrement au rôle, est desservi par une direction d’acteur trop schématique. Les autres interprètes ne déméritent pas. Cette excellente production, accueillie triomphalement par une salle comble, marque un grand moment dans l’histoire du festival.