La version baryton de Werther n’est plus vraiment une curiosité. On la connaît maintenant depuis une vingtaine d’années grâce, entre autres, à Dale Duesing qui l’a faite à Seattle en 1989, à Thomas Hampson qui l’a livrée au Metropolitan Opera en 1999 et au Théâtre du Châtelet en version de concert en 2004 ainsi qu’à Ludovic Tézier à l’Opéra de Paris en 2009. À Montréal le public est moins initié, mais en assistant nombreux à cette première il a pu apprécier les contours d’une partition qui assombrit le personnage de Werther (même si l’emploi d’un baryton au timbre plutôt clair s’avère souhaitable).
Un magnifique décor à la fois simple et efficace encadre l’action. Une salle aux grands murs à teintes variables dont celui du fond laisse filtrer aux deux premiers actes un vaste champ de blé. Au troisième on y adossera deux larges bibliothèques dont on verra l’utilité au quatrième lorsqu’un jeu de plateau tournant nous amènera à l’arrière dans le cabinet de travail de Werther. Malheureusement la mise en scène n’est pas du même niveau ; elle situe l’action dans les années 1920 et les personnages évoluent sans grande conviction, du moins dans les deux premiers actes. On a presque l’impression qu’ils ont l’air de s’ennuyer dans une ambiance un peu grisâtre à tel point que même les chants de Noël des enfants n’arrivent pas à nous convaincre d’un seul instant de joie. Aucune passion, aucune manifestation de tendresse, aucun rapprochement entre les personnages. Si les choses s’améliorent un peu aux troisième et quatrième actes, les rapports restent toujours distants et l’idée d’un réveillon préparé par Charlotte au premier tableau du quatrième n’arrange rien. Celle-ci semble d’ailleurs plus préoccupée à observer le travail d’un serviteur qu’elle ne l’a été jusqu’alors par la passion amoureuse de Werther et lorsque les invités arrivent avec des fleurs pour la maîtresse des lieux, on a l’impression d’assister à une veillée macabre. Ce parti pris de distanciation ne cadre pas toujours avec une musique qui se veut très joyeuse par moment. Il finit par provoquer lassitude et déception. Dans l’ensemble, l’œuvre est mieux servie par une distribution qui ne démérite pas.
Philip Addis, le titulaire de ce soir, parfois identifié comme baryton-Martin, possède un type de voix qui lui permet de faire certaines incursions dans la ligne de ténor1. On admire chez lui la beauté des harmoniques ainsi que l’homogénéité du timbre et si au début on le sent un peu hésitant et en difficulté avec certains aigus, il progresse tout au long de l’œuvre pour nous donner le meilleur dans les vers d’Ossian. On note également que, si la caractérisation manque un peu de relief, le jeu demeure quand même presque toujours crédible.
Michèle Losier campe une Charlotte assez froide comme l’a probablement souhaité le metteur en scène, mais l’expression vocale lui appartient. Dotée d’un timbre magnifique, on la sait capable des plus admirables nuances et pourtant ce soir elle nous apparaît presque constamment monochrome. Aborde-t-elle trop tôt dans sa carrière un rôle dans elle pourrait sans doute être une interprète idéale ?
Stephen Hegedus en Albert se prête admirablement aux moments de forte tension par une projection très dramatique. Alain Coulombe offre ses accents bourrus au bailli, en totale adéquation avec le personnage. Le soprano très léger de Suzanne Rigden, malgré sa joliesse et son entrain, est difficilement audible compte tenu de l’acoustique défaillante de la Salle Wilfrid Pelletier. Mention spéciale aux enfants qui ont tenu leur partie de façon exemplaire.
Mis la palme revient à l’Orchestre Symphonique de Montréal et à Jean-Marie Zéitouni qui ont offert une prestation remarquable. La direction contrastée du chef distille une poésie, une envoûtante sensualité et une ardeur que l’on n’avait pas ressenties depuis longtemps dans cette fosse. Un véritable travail de précision et de finesse qui sauve la soirée.
1 Dans une entrevue accordée le 15 janvier 2011 à l’animatrice Sylvia Lécuyer de l’Opéra du Samedi sur les ondes de Radio-Canada, Philip Addis a parlé d’une «hybridation» de la version baryton et d’emprunts à la ligne de ténor dans des moments plus passionnés, pour susciter une plus grande tension.