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Requiem — Versailles

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Spectacle
21 janvier 2011
Souverain dans ses pompes

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Requiem en ut mineur à la mémoire de Louis XVI pour chœur mixte et orchestre
Créé à la chapelle royale de Saint-Denis, le 18 janvier 1816

Détails

Production Opéra de Rouen Haute-Normandie/Accentus en partenariat avec le Palazetto Bru-Zane – Centre de musique romantique française
Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie
Chœur Accentus
Direction musicale, Hervé Niquet
Versailles, Chapelle Royale, vendredi 21 janvier 2011, 19 h

Il y a des lieux où souffle l’esprit… C’est pourquoi, en la seconde de ses trois étapes1, l’exécution du Requiem de 1816 prenait un caractère tout particulier dans la chapelle du château de Versailles, de surcroît le jour même de l’anniversaire de la décapitation de Louis XVI, le 21 janvier 1793. Commémoration au demeurant discrète – ni fleurs ni couronnes, et peu de cravates noires ! -, pour rappeler le titre et les origines historiques de l’œuvre : la commande du nouveau régime, en 1815, en réparation des crimes de la période précédente, dans la phase la plus virulente de la Restauration.

 

Le chef d’œuvre architectural de Jules Hardouin-Mansart est pourtant d’un caractère tout différent, célébrant de façon grandiose, au début du XVIIIe siècle, un règne de Louis XIV arrivant à son terme, comme le rappelle le buffet d’orgue doré de 1710 aux trois fleurs de lys dominant le chœur dans la belle illumination nocturne de la chapelle. Et même si Saint-Simon, toujours mordant, parlait à son propos d’un « immense catafalque », les peintures d’un coloris sensuel des plafonds célébrant autant la gloire du souverain que celle de Dieu, en sa pompe la plus fastueuse2, paraissent aux antipodes de l’austérité presque farouche d’une pompe cette fois funèbre, pour une œuvre sans solistes et strictement soumise au texte. Et où Cherubini, le Talleyrand des compositeurs établis en France, emprunte largement à la musique de la Révolution, le second des régimes qu’il a servi avec succès. Plus concrètement, l’espace de la chapelle, très fortement réverbéré3, peut poser des problèmes d’acoustique pour les effectifs de l’œuvre et ses impressionnants éclats de puissance.

 

Ces deux handicaps potentiels ont été heureusement surmontés. Pour le premier, Hervé Niquet a eu la bonne idée de faire précéder l’œuvre de la Marche funèbre de 1797 écrite par le compositeur pour la mort du général Hoche, et refondue par Cherubini lui-même pour accompagner l’exécution de son Requiem à l’occasion des funérailles du duc de Berry, en 18204. Après les éclats des percussions et des cuivres qui ouvrent celle-ci de façon spectaculaire, le lien se fait tout naturellement avec les premières mesures de l’« Introitus » du Requiem, directement enchaîné. Et l’association contribue à nous arracher à l’anecdote : peu de rois évoqués ici en fait, quels qu’ils soient, ni de ducs ou de généraux, et peu de faste extérieur, malgré l’importance par moments, des moyens. Mais comme chez les plus grands, l’œuvre vise et atteint à l’universalité, ad majorem Dei gloriam5, fondée qu’elle est d’abord sur la personnalité du compositeur.

 

Pour le versant professionnel, la maîtrise d’écriture est confondante et renvoie à la plus solide tradition polyphonique, dont témoigne en particulier l’impressionnante fugue du Quam olim dans l’ « Offertorium ». Et pour l’homme même, qui paraît se dérober constamment derrière la maîtrise du métier, il fuit confession et pathos au profit d’une introspection, d’un recueillement même, malgré une violence qui relèverait plutôt du désespoir chez cet introverti et ce profond pessimiste. Ce que laisse entrevoir seulement le poignant « Agnus Dei » final, l’une de ses pages les plus bouleversantes, point indigne du Requiem mozartien auquel il rend hommage6, mais qu’il laisse par ailleurs à l’écart, sans lui emprunter en rien.

 

Enchaînant à bon droit plusieurs des parties, évidemment sans entracte et avec seulement de très brèves pauses, Hervé Niquet rend très belle justice à cette partition d’une puissance ramassée7 en étant plus rapide généralement, sinon plus précipité que Muti, dont l’enregistrement de 1980 continue de faire  référence (EMI). Il sait pourtant en ménager les forts contrastes, phrasant superbement les courbes plus détendues de l’« Hostias », ou l’extraordinaire Lux aeterna de l’« Agnus Dei » dont il a fouetté comme il convient la saisissante courte phrase interrogative des cordes à son début. Sans doute le problème acoustique n’est pas totalement résolu, et le sommet d’intensité du Quam olim par exemple arrive à saturation. Mais on apprécie la bonne idée de disposer le double chœur de part et d’autre de l’orchestre, sur les côtés, et non à l’arrière8, permettant aussi de valoriser le saisissant effet de réponses entre voix masculines et féminines dans le « Dies Irae » au rythme haletant, qui enchaîne impitoyablement les versets, sans séparations ni répétitions.

 

Mention d’excellence encore pour le choeur Accentus, impeccable d’homogénéité et de précision dans les attaques, d’une parfaite clarté d’articulation, avec la beauté et richesse de timbres que l’« Hostias »met particulièrement en valeur. On s’étonne seulement un peu qu’il revienne à la prononciation française du latin (« Jésus » pour Jesu…). Et bonne prestation de l’orchestre, irréprochable notamment pour les parties solistes des vents du « Pie Jesu », qu’ils colorient délicatement. Associé à un lieu d’exception, l’évènement restera dans les mémoires, rappelant à une postérité qui ne le replace pas encore au très haut niveau où le mettait Beethoven, Schumann ou Brahms la grande beauté d’un Requiem qui introduit sans doute directement à la Grande messe des morts de Berlioz (1837), mais devait ensuite continuer de dominer, à raison, la plus grande partie de son siècle.

 

 

 

1- Donné la veille à l’Opéra de Rouen, le concert devait être repris le 23 au Volcan, scène nationale du Havre.

2- Pour Louis XVI, ce fut le mariage avec Marie Antoinette, le 16 mai 1770.

3- Contrairement à celui de l’Opéra royal, d’abord annoncé.

4-Comme l’ont fait Diego Fasolis ou Matthew Best dans leurs enregistrements récents (Naxos et Hyperion) – à la différence de Toscanini et de Muti, les plus ardents et les meilleurs défenseurs de l’œuvre jusqu’à présent. En revanche le motet In Paradisum, ajout de 1820 également, commenté dans une note de programme un peu flottante, n’a pas été finalement retenu, à juste titre selon nous.

5-À la différence de l’étrange second Requiem, en ré mineur, écrit par Cherubini en 1836 pour les seules voix d’hommes, en vue de ses propres funérailles.

6-Cherubini en fut l’introducteur en France, en 1805.

7- Moins de soixante minutes pour l’ensemble, ce qui permet de donner le même soir une deuxième audition, à 21 h.

8- Comme par exemple lors de l’exécution nettement plus modeste de la même œuvre à la cathédrale Saint-Louis de Versailles précisément, en novembre 2008.

 

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