Britten, Gregory Kunde et la production de Peter Grimes de Willy Decker partagent une qualité recherchée : il semble que le temps n’ait pas de prise sur eux. Britten tout d’abord dont la force tranquille des phrases musicales, la rythmique macabre des percussions et l’audace de son écriture vocale semble encore être des référents difficilement surpassables pour certains de nos compositeurs contemporains.
Gregory Kunde ensuite, qui, année après année, de prise de rôle osée en prise de rôle risquée, continue de tracer un sillon pavé de succès. En voici un de plus, et c’est dans sa langue maternelle cette fois-ci que le ténor américain incarne un Grimes introverti ou violent par maladresse. La jeunesse du timbre, la facilité sur toute la tessiture, les demi-teintes, mais aussi la puissance et la projection insolentes confèrent au personnage toute sa rage, sa douleur et toute son ambiguïté. Balourd plein d’espoir ou brute épaisse, Gregory Kunde se laisse le choix.
La production fête bientôt son quart de siècle mais rien n’y paraît (cf. le compte-rendu d’une reprise à la Monnaie en 2004). Entre Turner, les arrière-plans tourmentés de Bacon et la cruauté d’un rouge primaire ou d’un noir de jais (décors signés John Macfarlane), Willy Decker fait de Peter Grimes un accrochage de toiles aussi saisissantes que minimalistes. Deux immenses panneaux sombres viennent découper l’espace entre lieux intimes et lieux publics. Le choeur, ses individualités et leurs déplacements sont organisés de manière magistrale. Dans une oeuvre où ce dernier est le moteur de l’action, Willy Decker réussit la gageure de le montrer comme une masse menaçante et lâche en même temps que composé d’individus inoffensifs. Surtout, le Palau les Arts dispose avec le Cor de la Generalitat Valenciana d’une des meilleurs formations du pays, de standard international, qui toute la représentation durant fera montre de toutes ses qualités : puissance, nuances, équilibre entre les pupitres, unité, rondeur des timbres.
© Miguel Lorenzo i Mikel Ponce
Les personnages secondaires du drame son traités comme des atomes s’arrachant de la molécule sociale pour entrer en percussion avec Grimes. Ellen s’accrochera et gravitera quelque temps autour de lui. Leah Partridge, timbre clair et fruité, la caractérise avec douceur et peut être moins de certitude et de force que le livret ne semble lui en donner. Robert Bork (Balstrode) est bloc d’airain et de puissance. Le timbre nasale et acidulé aussi bien que le port pernicieux de Rosalind Plowright rendent Mrs. Sedley identifiable et antipathique entre toutes. Dalia Schaechter en revanche peine à imposer son Auntie du fait d’une projection moindre. Les nièces (Girogia Rotolo et Marianna Mappa) sans briller particulièrement apportent toute la jovialité que permet leurs scènes, de même que Charles Rice croque immédiatement ce séducteur de Ned.
Dernier rouage du succès, Christopher Franklin dirige entre légèreté et noirceur sur un tempo assez lent. Cela lui permet d’approfondir le travail sur les couleurs et de mettre en avant de remarquables solistes : des percussions d’une précision mécanique, une harpe gracile, une flute veloutée ou encore des cuivres clairs.