1881, six mois à peine après la mort d’Offenbach, Londres applaudit à tout rompre un nouveau « Comic Opera » de Gilbert et Sullivan, Patience, délicieux bijou de dérision, qui connaît un énorme succès seulement dépassé par le nombre des représentations du Mikado. A la charge souvent acerbe de la société française du Second Empire par Offenbach a succédé en Grande-Bretagne celle, non moins acérée, de l’ère victorienne.
Mais l’œuvre atteint également à l’universalité, au même titre que Les Précieuses ridicules et Les Femmes savantes : tout un groupe de jeunes femmes s’entiche du poète sensuel Bunthorne, puis du poète idyllique Grosvenor, obligeant les dragons du régiment local à faire des vers et prendre des poses pour reconquérir leurs belles. Patience, une jeune laitière tout à fait hermétique aux choses de l’art, va elle aussi de l’un à l’autre sans toujours maîtriser les conséquences de ses choix. Cette charmante comédie est en fait une satire du préraphaélisme anglais des années 1860-1880 qui touchait aussi bien la littérature, les beaux-arts que les arts appliqués. Et les spectateurs s’amusaient beaucoup à retrouver la caricature scénique de leurs contemporains, dont Tennyson, Oscar Wilde, Rossetti ou autres écrivains à la mode.
Musicalement parlant, l’œuvre n’est guère novatrice, et doit certaines redites à la rapidité de l’écriture. On pense sans arrêt aux Pirates de Penzance créée deux ans avant, tant par les types de certains personnages (les filles du général Stanley, Ruth et les policemen semblent tout juste transposés) que par les lignes mélodiques souvent très proches. Mais ne boudons pas notre plaisir, car le résultat est un feu d’artifice de drôlerie musicale et parlée.
© Gilbert & Sullivan Festivals / Photo Jean-Marcel Humbert
La mise en scène de Donald Maxwell est, sur un plateau plus grand, celle-là même qui avait été donnée à Paris au musée d’Orsay en 2011. C’est dire qu’il s’agit d’une production tout à fait classique, dans des décors mêlant une évocation préraphaélite à des éléments latéraux un peu trop lourds. Les costumes de Tony Brett sont tout aussi évocateurs de la tradition, au point que l’on a du mal à imaginer l’œuvre dans un environnement décalé.
Rebecca Bottone, que l’on connaît bien (notamment pour sa Casilda à l’ENO, mais aussi pour Blonde à Aix en Provence, ou Liesl de Sound of Music au Châtelet) est Patience. Elle l’est jusqu’au bout des ongles, ses mimiques comiques sont irrésistibles, mais elle est aussi très expressive dans les passages d’émotion. Tout au plus dira-t-on que toute la production est un peu surjouée, mais trouve dans la salle un écho très favorable. Si la voix est fort bien adaptée au rôle, elle s’est malheureusement durcie, notamment dans le suraigu – heureusement rare dans cette œuvre – amenant quelques notes criées pénibles à l’oreille. Autour d’elle, toutes ces dames éprises de poésie sont un vrai luxe, puisque l’on a le plaisir d’y retrouver les titulaires des premiers rôles des autres soirs, dont notamment Elinor Jane Moran – particulièrement drôle et attachante – et Sylvia Clarke. Toutes leurs consœurs jouant sans cesse de leurs voiles préraphaélites, sont un délice visuel et musical.
Du côté des hommes, le niveau est tout aussi élevé. Les deux poètes antagonistes sont fort drôlement joués et chantés par Richard Gauntlett et James Cleverton, qui construisent de vrais personnages dont on suit avec intérêt les démêlés avec la gent féminine. L’inévitable clique militaire est menée avec autorité et naturel par Steven Page, Matthew Kellett et Nick Sales dont les qualités vocales égalent largement leur excellence scénique. David Steadman dirige avec fougue et précision, bien dans la tradition, un orchestre de très bonne qualité.