Alors que les dernière représentations scéniques de Parsifal, avec déjà Christopher Ventris, remontent à mars 2008, dans la production conçue par Chrzistof Warlikowski à Bastille, Paris a pu assister deux fois à la grande messe solennelle wagnérienne, célébrée les 6 et 9 mars par Daniele Gatti. Après avoir dirigé l’œuvre quatre années de suite à Bayreuth, le directeur musical de l’Orchestre National de France aspirait à y mener « son » orchestre, en reprenant la même distribution que sur la colline sacrée. C’est maintenant chose faite, non sans quelques menues modifications intervenues en cours de route.
Par quel curieux tour de passe-passe Kwangchul Youn est-il devenu Kurt Rydl lors du transfert à Paris de l’équipe vocale bayreuthienne ? Entendu au TCE en 2011 dans une autre version de concert, encensée en 2008 à Bayreuth, la basse coréenne aurait dû être au rendez-vous à Paris en 2012, son nom figurait la brochure de la saison, mais… On a souvent vu Kurt Rydl à Paris dans les rôles wagnériens et, malgré les années, sa voix a gardé tout son mordant et toute sa projection, mais il ne peut dignement assurer que la partie « récitatif » de son rôle : dès qu’une note doit être un tant soi peu tenue, la basse allemande offre une généreuse oscillation incluant les demi-tons voisins, et les aigus, heureusement rares, sont le plus souvent glapis ou escamotés. Rydl fait cependant bien meilleure impression au dernier acte, le deuxième dont il est absent ayant, semble-t-il, paradoxalement permis à sa voix de se chauffer un peu. Lucio Gallo a fait ses débuts à Bayreuth en 2010, dans le rôle de Telramund, mais il n’y a, sauf erreur, pas encore été Klingsor. Même en version de concert, on devine quel acteur le baryton italien peut être, tant il vit chacune des syllabes de son texte. Enfin et surtout, l’Orchestre National de France n’est pas celui de Bayreuth, comme nous le rappelle quelques attaques douteuses des cuivres au premier acte. Gatti a beau faire des miracles, et on voit qu’il suit musiciens et chanteurs de très près, l’ONF reste en deçà des attentes en terme de pure beauté instrumentale, même si les premières notes du prélude font résonner la salle des frères Perret (au plafond de laquelle Maurice Denis a peint Parsifal) comme la caisse d’un immense violon. Superbe, la prestation du choeur et de la maîtrise de Radio-France.
De Bayreuth arrivent tout droit, en revanche, une séduisante brochette de filles-fleurs, dans le passage le plus sensuel de la partition. La sensualité, justement, n’est peut-être pas le point fort de Mihoko Fujimura. On a admiré cette artiste dans des rôles moins exposés, Fricka ou Brangäne, mais elle n’est sans doute pas la plus ensorcelante des Kundry. Le timbre sombre dans la moitié grave de la tessiture devient plus opaque dans l’aigu, et l’on aimerait incarnation plus vibrante ; sur ce plan, la mémorable production de Stefan Herheim (voir recension) devait aider la chanteuse japonaise.
Detlef Roth est un Amfortas poids-plume, qui manque singulièrement de noblesse et qui n’atteint guère au pathétique, faute de ce dolorisme intense qu’ont su imprimer au rôle ses plus grands titulaires. Enfin, Christopher Ventris éblouit par sa voix merveilleusement juvénile mais jamais désincarnée, par cette ardeur de chaque instant qui lui permettre d’être vraiment le Chaste Fol.
Enfin, sans vouloir imposer à tous le silence religieux censé suivre le premier acte de Parsifal, ne pourrait-on envisager de distribuer aux spectateurs un petit manuel de savoir-vivre opératique qui, outre l’extinction obligatoire des téléphones portables, rappellerait qu’on peut éternuer bouche fermée pour faire moins de bruit, et surtout qu’on doit attendre que le chef ait baissé sa baguette pour manifester son enthousiasme ? Cela nous aurait peut-être évité les applaudissements intempestifs qu’un sinistre crétin, au parterre, a cru bon de faire retentir à la fin de chaque acte alors que la musique avait à peine cessé. Paris est décidément loin de Bayreuth
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