C’est un pari un peu fou auquel nous avons assisté hier soir au Châtelet. Une expérience multisensorielle et immersive qui fait renaitre le temps d’une parenthèse musicale la Notre-Dame du passé, devenue Cathédrale blessée. Tel est le défi que s’est lancé Hervé Niquet : « redonner voix à Notre-Dame, le temps d’une soirée, en recréant sur le plateau l’intérieur de la cathédrale incendiée, grâce au mapping. En faisant sonner les cloches sur la place et en remplissant le Théâtre avec l’odeur du bâtiment brûlé, je veux faire entendre la musique d’un office fantôme grâce à Gounod, Saint-Saëns et le chœur du Concert Spirituel ». Le spectacle vaut notre regard car il est avant tout une expérience inédite à vivre pour un mélomane, une parenthèse unique qui ne vaut que par la magie de son propre instant. Et le message porte, le concept touche, et le chœur du Concert Spirituel parle aux âmes de Notre Dame.
C’est un office religieux virtuel in situ qu’il nous est donné à voir ici dans le feu non des cierges mais de la propre splendeur de la Cathédrale par le jeu des projections, le son des cloches, l’odeur à la fois de l’encens et de la braise, des effets toujours à propos, sans excès surabondants. C’est sans doute la force de ce spectacle d’être continuellement dans la subtilité, la nuance, et l’équilibre sans jamais tomber dans l’écueil d’une débauche de moyens pyrotechniques. Le choix du lieu est également des plus judicieux. Recréer l’intérieur de la Cathédrale dans la Grande salle du Chatelet était une lumineuse idée, la dimension imposante du théâtre s’y prêtant à merveille. Le spectacle est un délice pour les oreilles mais aussi un festival de couleurs pour les yeux. Aussi pour apprécier ce bel ouvrage, il fallait toutefois être au balcon afin d’embrasser pleinement du regard tant la scène que les projections des vitraux et autres éléments de décors de la Cathédrale sur les balcons latéraux du théâtre. Sur la scène, Hervé Niquet et le Chœur du concert spirituel, accompagné de l’orgue de François Saint-Yves, se tiennent derrière un écran transparent sur lequel sont projetés divers lieux de la cathédrale. Ce jeu de projection nous transporte au cœur même de l’édifice, comme si les artistes y étaient eux-même présents. Les échos de Notre Dame sont recrées donnant une ampleur au chant et une profonde éloquence aux silences.
Quant au programme, il est à la hauteur des ambitions du spectacle, nous faisant voyager à travers les siècles de vie de la Vieille Dame de Paris, de l’ère médiévale des chants grégoriens au 19e siècle musical de Gounod. Comme à son habitude, Hervé Niquet se lance avec un enthousiasme communicatif dans ce projet inédit avec son chœur du Concert Spirituel, d’une cohérence et précision à toute épreuve, répondant à la moindre des sollicitations du chef, tant dans les éclats allègres des pièces sacrées que dans les raffinements les plus subtils de celle-ci. On atteint une plénitude avec le Benedictus et l’Agnus Dei de Saint-Saëns, avec de très riches nuances sur le plan harmonique. Chaque intervention du Chœur du Concert Spirituel est un ravissement et place, la barre très haut dans un équilibre idéal des voix. Hervé Niquet empoigne la musique comme peu de chefs sont capables de le faire, et mène le chœur vers les sommets. Il n’y a jamais de demi-mesure, ni compromis, l’exécution est impeccable de rigueur et de maîtrise dans un lieu aussi vaste. Comme toujours, il tire le meilleur de sa formation dans les parties les plus enlevées tout en s’attachant aux moindres motifs sublimant la subtilité de l’écriture musicale laquelle est parfaitement servie par les choristes ici réunis. L’émotion est palpable, et parcourt le public comme une vague de frissons. L’office ainsi recré nous transporte au temps de la splendeur de la Cathédrale, mais nous fait aussi entrevoir son ère nouvelle. Meurtrie, blessée, la Vieille Dame de Paris est toujours debout, et dans son nid de cendres, elle entame un autre cycle de son existence.