Les locaux administratifs du Capitole devant subir d’importantes consolidations, la nouvelle saison est hors les murs du théâtre et c’est la Halle aux Grains qui en accueille le premier spectacle, une nouvelle production maison de Simon Boccanegra.
Œuvre boîteuse, comme Verdi le reconnaissait lui-même, cet opéra était, dans sa version première, une œuvre de circonstance. Après le triomphe du Trovatore en 1853, il était tentant, quatre ans plus tard, de reprendre un schéma voisin du même auteur, sur le même thème de la vengeance. Or ce fut un fiasco. C’est que dans Boccanegra cette passion personnelle n’est plus le moteur communément admis d’une rivalité exaspérée jusqu’à la mort, elle est dès le départ l’obstacle criminel au bien public défini comme la concorde sociale. Simon n’est pas qu’un individu, il est un chef conscient de ses responsabilités. Le thème de l’unité des Italiens finit par influencer les péripéties du mélodrame et c’est lui qui détermine au final la grandeur respective des personnages. Rêvée en 1857, proclamée en 1861, l’unité italienne était encore problématique vingt ans plus tard et le pessimisme d’un Verdi quasi septuagénaire vient colorer davantage la version révisée de 1881.
Cette noirceur se retrouve entière, dans la vision proposée par Jorge Lavelli et son équipe. Sur le plateau nu d’un gris foncé tombe en fond de scène un rideau de gaze noire qui révèlera à la fin du prologue un décor minimaliste ; la partie supérieure du même gris forme un balcon comme bordé d’une épure de rambarde, la partie inférieure forme un bloc noir où se découpent des rectangles rendus éblouissants par le rideau de lamé placé derrière eux. Même dans la première scène du premier acte, où des images projetées au sol montrent la mer mollement agitée, une obscurité profonde environne l’espace scénique. L’’intervention spectaculaire (à nos yeux peu fondée et même proche du contresens) des anges de la mort tombés des cintres ou jaillis des dessous à la fin du prologue en rajoute encore.
Toujours au chapitre de l’aspect visuel, les costumes du peuple, uniformes pour signifier un personnage collectif – ce qui est encore discutable – sont d’une couleur bien terreuse pour des marins. Quant aux maquillages, regrettons que le passage du temps – un quart de siècle est censé séparer le prologue du premier acte – soit peu visible chez Boccanegra et encore moins chez Fiesco, pourtant censé être le doyen ! Enfin l’espace en creux qui, à l’acte II, utilise les ressources des dessous de scène, semble si réduit qu’on s’attend à chaque instant qu’Adorno allonge le bras pour se servir un verre de la carafe empoisonnée.
Ces remarques faites, il faut convenir que le spectacle proposé respecte globalement le climat de l’œuvre, et que l’utilisation de l’espace atypique de la Halle aux Grains est optimale, avec entrées et sorties des personnages par tous les dégagements possibles. De même certaines attitudes et jeux de scène qui peuvent sembler incongrus ont été probablement pensés pour tenir compte de la disposition du public en trois quarts de cercle autour de l’espace central.
Pas de réserves, en revanche, sur les versants vocal et musical. Yuri Kissin – Pietro – est efficace en homme de l’ombre prêt à se vendre au plus offrant. Roberto Bork a bien la détermination vocale et scénique de l’ambitieux Paolo. Stefano Secco donne à Gabriele Adorno un relief inhabituel, par une prestation vocale impeccable et un engagement total. Avec sa haute taille Arutjun Kotchinian a la prestance de Fiesco ; mais il reste difficile de croire que son personnage est le plus âgé. Vocalement, s’il est à ses limites dans les graves de sa première scène – plus basse chantante que basse profonde – son duo final avec Boccanegra est des plus réussis. Pour sa première venue à Toulouse et pour une prise de rôle, Alexia Voulgaridou a fait mouche en Amélia ; d’emblée la voix s’impose par son étendue, sa souplesse, son brillant, sa projection, et comme le jeu théâtral donne l’illusion du naturel, elle triomphe à juste titre. Il en est de même pour le Simon d’Andrzej Dobber, baryton bien connu à Toulouse, dont la composition et la maîtrise vocale, d’une justesse expressive complète, atteignent des sommets dans le dernier acte.
Bonne performance des chœurs, à très peu près. Quant à l’orchestre, il suit fidèlement un Marco Armiliato des grands jours et conserve tout au long de la représentation la qualité qui s’impose immédiatement dès les premières mesures. Est-ce la largeur de la fosse, l’acoustique particulière du lieu, la disposition des sièges ? Les plans sonores et les parties solistes se distinguent avec une lumineuse netteté. Les intentions de Verdi telles qu’on peut les connaître sont restituées fidèlement, et cette interprétation exemplaire donne à la musique toute sa force expressive, jusqu’à atteindre au grandiose dans la sublime scène finale. Verdi, selon Boito, avait pour cet opéra la tendresse d’un père pour son enfant bossu. On a à Toulouse une belle occasion de le découvrir et de l’aimer. A l’heure où le séparatisme et les intérêts partisans divisent encore l’Italie mais aussi l’Europe, on rêve que cela pourrait servir. Et puis, cet enfant est si beau !
Simon Boccanegra — Toulouse
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Spectacle
11 octobre 2009
Noir, c’est noir
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- Auteur
- Compositeur
- Editeur
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- Lieu
- Saison
- Orchestre
- Artistes
Note ForumOpera.com
3
Infos sur l’œuvre
Melodramma en un prologue et trois actes
Livret de Francesco Maria Piave et Arrigo Boito
D’après la pièce de Antonio Garcia Gutierrez
Détails
Conception et mise en scène, Jorge Lavelli
Collaboration artistique, Dominique Poulange
Décors, Pace
Costumes, Francesco Zito
Lumières, Jorge Lavelli / Roberto Traferi
Simone Boccanegra : Andrzej Dobber
Amelia Grimaldi : Alexia Voulgaridou
Jacopo Fiesco : Arutjun Kotchinian
Gabriele Adorno : Stefano Secco
Paolo Albiani : Robert Bork
Pietro : Yuri Kissin
Un capitaine des arbalétriers : Claude Minich
Une servante d’Amélia : Marie Virot
Orchestre National du Capitole
Choeur du Capitole
Direction, Alfonso Caiani
Direction musicale, Marco Armiliato
Toulouse, le 11 octobre 2009
Commentaires
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