Année après année, les mêmes mots pour dire le même étonnement face à l’extraordinaire longévité de Léo Nucci – 75 ans en avril prochain. A mettre en regard d’un autre recordman de l’art lyrique, Placido Domingo qui, la veille, dirigeait Tosca dans ce même Opéra de Vienne. Mais le premier, au contraire du deuxième, n’a jamais dérogé à sa trajectoire vocale. Baryton, il est né ; baryton il restera, consacrant le crépuscule flamboyant de sa carrière à un seul compositeur : Verdi. Si l’histoire a retenu plus de de cinq-cents Rigoletto, elle ne dit pas combien Nucci affiche de Nabucco au compteur. Un nombre confortable si l’on en juge à la connaissance intime du rôle, déjà relatée à plusieurs reprises, la dernière fois à Liège il ya quelques mois. Cette familiarité avec la partition induit une certaine habileté. Leo Nucci, à ce stade de sa carrière, sait précisément quelles cartes abattre pour emporter la partie. Il connaît, et l’œuvre, et ses propres limites. Les deux premiers actes, plus héroïques, ne lui offrent pas ses meilleures notes. C’est après l’entracte dans le duo avec Abigaille et surtout dans sa grande scène qu’il peut faire valoir ce qui le rend unique : la chaleur de sons longs et liés, le juste usage de la couverture, la franchise de l’émission, le slancio – ce terme intraduisible que l’on applique au chant verdien pour dire la difficile combinaison d’élan, de mordant et d’articulation –, le tout décuplé par l’intensité de l’expression. Une longue ovation salue l’exploit. Une fois encore, le baryton s’est taillé la part du lion.
© Wiener Staatsoper GmbH / Michael Pöhn
Quels reliefs de cette représentation voudrait-on sinon conserver dans les tiroirs de sa mémoire ? Les chœurs et l’orchestre du Staatsoper dont on ne dira jamais assez la richesse sonore ; le Zaccaria de Roberto Tagliavini, vainqueur à l’applaudimètre par le pouvoir d’un chant long et noir ; une mort d’Abigaille portée par le souffle inépuisable d’Anna Smirnova, posée comme en apesanteur sur les autres voix avec des notes augmentées du meilleur effet. La chanteuse auparavant terrasse une tessiture meurtrière, enjambant les registres, variant bravement la reprise de « Salgo già del trono aurato », mordant, griffant, vociférant au détriment parfois de de la justesse. Point final.
En Ismaele et Fenena, Miro Dvorsky et Ilseyar Khayrullova remplissent leur contrat sans parvenir à transformer l’essai, lui d’une voix de ténor qu’il tente en vain d’alléger, elle prise en défaut de projection et piégée par la cadence finale de sa prière. Chahuté lors de son retour dans la fosse après l’entracte en raison de ce que l’on suppose être un volume sonore excessif et des tempos capricieux, Guillermo Garcia Calvo doit son ovation finale, unanime cette fois, à la ferveur d’un « Va pensiero » dressé comme les deux colonnes de Karlskirche. La mise en scène de Günter Krämer appartient à ce que l’on a vu de plus affligeant en la matière. Laide, absconse, convenue, privée de mouvements, ni traditionnelle, ni radicale, elle livre sa clé dès l’ouverture – on voit Abigaille enfant, bousculer Fenena devant un petit théâtre de marionnettes. L’idée ensuite n’est plus exploitée. Ah, si, le petit théâtre, resté sur le devant de la scène, s’enflamme lorsque les hébreux sont conduits au supplice. Au feu, les pompiers !