Aucun des ouvrages de référence ne mentionnait le nom de Falvetti avant que Leonardo Garcia Alarcón découvre et révèle son Diluvio Universale. Dans la foulée, en 2012, c’était au tour de ce Nabucco d’être produit, à Ambronay, à partir de l’édition de Nicoló Maccavino , Fabrizio Longo (violon de la Cappella Mediterranea) et deux autres transcripteurs. Enregistré dans la foulée, ce dialogo allait être salué comme une découverte majeure. Le sujet est emprunté par le librettiste à quelques épisodes bibliques du Livre de Daniel. Outre les figures allégoriques du prologue, six personnages essentiels conduisent l’action : Nabuchodonosor, le souverain, Ariocco, son capitaine des gardes, Daniel, le prophète, et trois jeunes juifs qui, pour avoir refusé d’adorer une idole, sont jetés dans la fournaise, dont ils ressortiront saufs. Pour être une oeuvre d’édification religieuse, opéra sacré ou oratorio, elle n’en est pas moins engagée : Messine s’est révoltée contre l’occupant espagnol dont la répression a été sanglante et les auditeurs du temps ont reconnu le vice-roi en Nabucco, eux-mêmes s’identifiant aux victimes de la fournaise.
Falvetti est un novateur, pleinement informé des styles développés tant à Rome qu’à Venise ou à Naples. Son originalité réside dans la synthèse qu’il réalise, dans sa Sicile ouverte à toutes les influences méditerranéennes. Le texte toujours clair, intelligible, avec une écriture raffinée, où toutes les techniques sont mises à profit, illustre à merveille les situations, les caractères, les émotions. Le style monodique s’ enrichit magistralement de tous les procédés connus, de l’unisson choral aux passages homorythmiques jusqu’aux contrepoints les plus appropriés à la vérité de l’expression dramatique, toujours renouvelée. Alors que le CD ne comporte pas moins de quarante plages, attestant la richesse, la diversité, mais aussi la brièveté de ce que l’on appellerait maintenant des numéros, un souffle nouveau parcourt la partition, plus soutenu, constant qu’à la recréation et lors de l’enregistrement. Les musiciens se la sont parfaitement appropriée, comme un classique, et s’y investissent pleinement. L’œuvre a mûri aussi, au fil des concerts. La mise en espace qui est offerte séduit à tous égards : les costumes, les mouvements, chorégraphiés, les attitudes, tout concourt à l’émotion.
Cinq ans après sa recréation au Festival d’Ambronay, la distribution n’a pas changé, à quelques exceptions près. Ainsi Mariana Florès, dans l’attente imminente d’un heureux événement, est-elle remplacée par Arianna Vendittelli. L’Azaria qu’elle incarne a la voix généreuse, longue et colorée. Dès sa première intervention (Idolatria dans le prologue), la magie opère. Matteo Belloto (Eufrate), à l’émission chaude et profonde, nous offre d’emblée un beau récitatif orné « Suberbia Idolatria ». Arioco (Owen Willets), bien que peu caractérisé par la partition, nous vaut un intense récitatif qui ouvre l’action « Ombre timide e oscure ». Son ample aria, berceuse, « Regie pupille », comme les interventions suivantes confirment les qualités vocales et stylistiques d’un grand contre-ténor. Fernando Guimarães campe un Nabucco nuancé. L’autorité, l’énergie, mais aussi le doute, les inquiétudes, la colère et l’instinct de vengeance sont traduits avec les moyens que l’on connaît. Un premier sommet est atteint à l’arrivée du trio des gouverneurs « S’al Dio d’Israelle », avec un Daniele (Alejandro Meerapfel) remarquable. La voix est ample, avec des graves solides et une large tessiture. Les trois jeunes gens forment un ensemble idéal, à l’émission fraîche, naturelle. Le bonheur de leur chant est manifeste. Le recueillement des trois victimes qui se préparent au martyre, entourées de flammes « risolve morire » nous émeut. D’Anania (Caroline Weynants) retenons particulièrement le « tra le vente d’ardenti », oriental puisque le motif ne laisse aucun doute sur son origine géographique et culturelle. Exprimant leur foi et leur joie, les arias de d’Azaria et de Misaele (Lucia Martin Cartón), puis leur trio avec Anania, amplifié par le chœur final témoignent d’un sens dramatique et d’une qualité musicale extraordinaires. Les interventions magistrales des chanteurs du Chœur de Chambre de Namur méritent d’être soulignées : Leur virtuosité (« Vola la fama »), la qualité de leur émission, avec des hémioles les plus fluides tout particulièrement.
L’orchestre, coloré et réactif, son continuo comme chacun des instrumentistes, forcent l’admiration. Le parti pris de dépasser ou d’enrichir la texture de certains instruments moyen-orientaux et des percussions de Keyvan Chemirani , justifié par l’écriture, s’avère pleinement convaincant. Leonardo Garcia Alarcón excelle à animer chaque phrase, à lui donner son galbe, sa couleur, son relief. La vigueur incisive, mais aussi la souplesse caressante de sa direction animent chanteurs et instrumentistes. Tout est à la fois idéalement réglé et d’une vie singulière. Ultime parabole, d’une actualité non moins brûlante : durant les longues acclamations, il prend la parole avec gravité et chaleur pour nous inviter à « en finir avec les extrémismes », pour « aller vers la sincérité du cœur ».