Sixième opéra, déjà, pour le compositeur Ahmed Essyad, dont on avait notamment pu voir au Châtelet en mai 2001 Héloïse et Abélard, créé à Mulhouse en octobre 2000. Cette année, le festival Musica de Strasbourg présente Mririda, « création mondiale, commande de l’Opéra national du Rhin ». Pourtant, il semble qu’une œuvre du même Ahmed Essyad, portant le même titre (complété du sous-titre Les étrangers), ait déjà été créée en 2008, à Agadir, sur un livret également dû à Claudine Galea, avec un groupe de musiciens berbères, l’ensemble vocal Musicatreize et les Percussions de Strasbourg… Sans doute la partition a-t-elle été substantiellement remaniée, puisqu’elle est maintenant interprétée par un orchestre de vingt musiciens occidentaux. Du reste, en 2008, le compositeur déclarait déjà que cette œuvre mûrissait en lui depuis vingt ans. Ces quelques années supplémentaires auront permis une maturation complète, et il ne fait aucun doute que la musique exigeante que donne à entendre cette seconde Mririda est totalement maîtrisée, d’une complexité qui force l’admiration, même si les premières scènes laissent craindre une densité presque trop continue. Heureusement, des respirations sont bientôt introduites par des moments moins intenses, où la musique se fait plus rêveuse, plus caressante. On remarque d’emblée une écriture chorale particulièrement complexe – héritage de ce que chantait Musicatreize en 2008 ? – à tel point qu’il a fallu placer dans la fosse les choristes de l’Opéra du Rhin car ils avaient trop de mal à en respecter les subtilités rythmiques sans pouvoir suivre la partition. Félicitations, en tout cas, à l’Ensemble orchestral du Conservatoire et de l’Académie supérieur de Strasbourg, qui avance avec assurance à travers cette partition souvent touffue, guidé par la baguette experte de Léo Warynski, pour qui l’écriture contemporaine n’a plus de secret.
Pourtant, un opéra, ce n’est pas seulement une partition, c’est aussi un livret. Le personnage réel de cette hétaïre héroïque qu’est la poétesse marocaine Mririda N’Aït Attik aurait pu inspirer Jean Genet, et l’affrontement entre une population locale et une soldatesque abjecte est une situation pas si éloignée de celle des Paravents. Hélas, le texte proposé par Claudine Galea est loin d’avoir la force dramatique espérée. Même le rôle-titre, figure censée incarner la liberté, la résistance à l’oppression, peine à exister, et les motivations des uns et des autres auraient gagné à être plus fermement présentées. Avec ses grands rideaux blancs que l’on déplace, sur lesquels on projette un décor, ou qui finissent par tomber, la mise en scène d’Olivier Achard pourrait aussi évoquer Les Paravents, mais le spectacle frappe surtout par sa pauvreté. Hormis les costumes aux couleurs vives des femmes, et malgré la présence de quelques figurants, élèves comédiens du Conservatoire de Strasbourg, la nudité du plateau n’est guère occupée par les déplacements des uns et des autres. Lors de la scène de la « Fête », les autochtones adoptent une gestuelle rythmée, sorte de danse qui reste un moment unique. Difficile, donc, de s’intéresser autant qu’on le voudrait à une action théâtrale aussi peu palpitante.
© Alain Keiser
Heureusement, l’Opéra Studio de l’OnR compte quelques voix prometteuses, dont plusieurs avaient déjà pu être entendues la saison dernière dans la Cendrillon de Wolf-Ferrari. On retrouve avec grand plaisir le timbre sombre de Coline Dutilleul, superbe mezzo qui reviendra pour la reprise de Blanche-Neige de Lange et surtout dans Il signor Bruschino en avril prochain. Camille Tresmontant trouve avec l’Etranger un rôle tout à fait adapté à ses moyens, seul personnage « français » entièrement sympathique. La grande voix de Francesca Sorteni est sans doute à sa place dans le rôle-titre, mais on s’étonne que la soprano italienne n’ait toujours pas surmonté les difficultés de prononciation propres à notre langue : toujours fâchée avec les e muets, faisant toujours sonner les consonnes qu’il faudrait nasaliser, elle en arrive même à donner une couleur uniforme à des voyelles qui devraient être mieux différenciées. Quel contraste avec Louise Pingeot, soprano léger dont on ne perd pas un mot, grâce à de belles qualités d’articulation, et qui laisse également entrevoir de riches possibilités scéniques, son personnage étant celui qui évolue le plus au fil de la soirée. Diego Godoy fait partie de l’Opéra Studio depuis septembre 2015, mais le français ne lui pose aucun problème – et c’est une chance, vu les grossièretés que profère le Mercenaire tout au long du spectacle – mais la voix manque parfois un peu de projection. Intéressante découverte, enfin, avec le baryton-basse Antoine Foulon, aux graves bien timbrés.