C’est une œuvre tout à fait contemporaine qui faisait la une ce mardi soir au Studio du Grand Théâtre de Luxembourg, mais devant un public assez réduit. Créée à Anvers l’an dernier, reprise au Théâtre National de Bruxelles et à Strasbourg, ce Menuet est une œuvre essentiellement flamande (musique et livret, même si ce dernier est traduit en allemand), et fort marquée par l’existentialisme. Trois tableaux distincts (le menuet n’est-il pas une danse à trois temps… ?) présentent la même intrigue, extrêmement mince, vue successivement par chacun des trois protagonistes : l’homme, la femme et une jeune fille qui est leur employée de maison. Entre drame social et scène de la vie quotidienne, l’auteur explore des sentiments universels : la solitude, l’incommunicabilité, la honte et la violence des pulsions, le tout dans une atmosphère intime et pesante, aux limites de l’anormalité. Je n’ai pas lu le livre de Louis-Paul Boon, mais son utilisation en tant que livret d’opéra pose question : l’introspection, le doute, la solitude, le soliloque intérieur, cadrés dans une forme aussi rigoureuse, se révèlent être des éléments qui se prêtent mal à l’épanchement lyrique ou à la représentation dramatique, et avec lesquels il est difficile d’émouvoir le spectateur d’opéra.
Le metteur en scène tente pourtant de tirer le meilleur parti de cette œuvre difficile : dans un beau décor fait des hauts claustras qui cachent partiellement les musiciens, il fait évoluer ses personnages avec sensibilité, dans les limites imposées par le livret. Le recours fréquent et très réussi à la vidéo, qui vient détailler en gros plan le visage des trois protagonistes, ajoute au caractère pesant et intrusif de la pièce tout en constituant un véritable atout sur le plan esthétique. La répétition des mêmes scènes, présentées à trois reprises sous des angles légèrement différents, et les mêmes gestes posés de façon presque obsessionnelle finissent néanmoins par engendrer une certaine lassitude et mettent crûment en lumière la minceur du livret.
Cécile Granger © Kurt Van der Elst
La composition musicale est due à Daan Janssens, qui avait déjà présenté un opéra en 2012 (Les Aveugles, d’après Maeterlinck), et dont les compositions instrumentales sont régulièrement interprétées dans les grands festivals européens spécialisés. Elle reprend le schéma en triptyque de la pièce, puisque la partition puise à trois reprises son matériau sonore aux mêmes sources, denses et complexes, mais dès lors assez peu variées. Janssens donne à entendre un substrat instrumental, fait de grands à-plat sonores au fort caractère dramatique, privilégiant le registre grave mais sans grand souci de lyrisme, sur lequel viennent se greffer les parties des chanteurs, tantôt chantées, tantôt parlées, toujours amplifiées. L’Ensemble Spectra, neuf musiciens plus leur chef très impliqués à restituer fidèlement la partition, livre un travail intense mais un peu ingrat visant créer des effets sonores, des tensions dramatiques exacerbées qui semblent parfois déborder le cadre intime du livret.
La distribution réunit la jeune soprano Cécile Granger, qu’on a surtout entendu jusqu’ici dans le répertoire baroque, et qui révèle un véritable talent de comédienne malgré une puissance vocale limitée. Raimund Nolte, régulièrement invité sur les scènes allemandes, nous a paru peu à l’aise avec l’écriture vocale de Janssens : timbre fuyant, sa voix lutte avec l’ensemble instrumental, mais tout cela donne au personnage un caractère de fragilité et d’ambiguïté qui est peut-être délibéré.
Des trois, c’est la soprano ouzbèke Ekaterina Levental qui domine largement. Sa voix puissante et richement timbrée donne un réel relief au rôle de l’épouse, et le dernier tableau qui lui est très largement dédié, constitue sans conteste le sommet dramatique de cette courte soirée.