De Paris à Los Angeles en passant par Torre del Lago, Bordeaux, Barcelone, Berlin, New York… comme ici au Royal Opera de Londres, Liping Zhang* s’avère une Cio-Cio-San différente des autres. Non qu’elle soit insurpassable, mais parce qu’elle est incomparable au sens propre. Plus encore qu’une interprète vocalement admirable, la soprano chinoise est une incarnation du personnage. Quand elle chante « un bel di vedremo » l’air ne résonne d’aucune sentimentalité occidentale, il n’est qu’un élan d’espoir confiant. L’artiste en chair et en os et l’héroïne de fiction se fondent. Avec Liping Zhang, la spontanéité, la passion, la fidélité naïve de Butterfly, nous y croyons. Le désespoir qui la conduit à préférer la mort à la honte pour assurer l’avenir de son fils, nous le vivons.
Les qualités visuelles de cette coproduction de Covent Garden et du Liceu, créée il y a huit ans — ce soir filmée en 3 D pour une prochaine sortie au cinéma —contribuent à sa réussite. Efficacité de la scénographie, justesse de la direction d’acteurs, décors et costumes de bon ton, somptueux éclairages… Si la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser a pu être jugée conventionnelle voire kitsch par certains, elle exhale la poésie et l’émotion de la tragédie cruelle sans grandiloquence que Puccini avait pris le temps de remanier afin d’atteindre la perfection qui en a fait de nos jours le deuxième opéra le plus représenté au monde après Carmen.
L’élégant ténor américain James Valenti est physiquement fort convaincant en Pinkerton. Dans le fameux duo d’amour, il sait rendre son timbre caressant pour exprimer son trouble devant la jeune geisha avec une sincérité propre à la séduire. Mais dans les moments d’exaltation qui font appel au registre aigu, la voix manque de puissance et d’éclat. Sans faire davantage d’étincelles, le baryton anglais Anthony Michaels-Moore chante correctement le rôle de Sharpless. Dans le duo du premier acte comme dans la lecture à Cio-Cio-San de la lettre de Pinkerton, le personnage demeure en retrait. Helene Schneiderman assure sa partie avec compétence ; de même qu’à Paris en 2009, sa Suzuki attentive et discrète est attachante. Les nombreux comprimari se montrent bien chantants et tous caractérisés à souhait. Une mention particulière pour Jeremy White dans le rôle du Bonze.
Sous la direction d’Andris Nelsons, l’excellent Orchestre du Royal Opera propose une exécution raffinée de cette partition colorée, délicate et sensuelle, tout en lui confèrant son lyrisme spécifiquement puccinien assorti d’un parfum d’Asie subtilement dosé pour nos oreilles occidentales. Il sait ciseler chaque thème, captiver sans pathos dans les moments de tendresse, d’émotion et de violence… Avec le tutti orchestral brisé qui achève le drame, les musiciens rendent le dernier soubresaut de Butterfly absolument insupportable.
* La soprano américaine Patricia Racette ayant dû déclarer forfait, trois cantatrices se sont relayées pour la remplacer lors de cette nouvelle série estivale de sept représentations : Kristine Opolais, Liping Zhang et Amarilli Nizza.