Il est impossible de faire le compte rendu d’un spectacle déjà bien arrosé de pluie, quand il est interrompu au bout d’une heure par l’imminence d’un violent orage. Tout au plus peut-on en donner quelques impressions. Jusqu’à une date récente, Bregenz jouait, quoi qu’il arrive. Nous avons ainsi pu voir deux ans de suite une Flûte enchantée particulièrement mouillée, les spectateurs, chanteurs et acrobates restant stoïques sous la pluie. Puis le festival a commencé à annuler, dans les cas extrêmes. Enfin, solution médiane, comme ce soir, interruption de la représentation, qui se continue dans la salle de spectacle située dans le Festspielhaus. Passer de 7000 spectateurs à 1765, cela veut dire aussi que seul un petit nombre de happy few a droit à cette solution, mais que la majorité se retrouve mise à la porte. Tout est prévu, les billets des premières catégories ont une double numérotation qui permet à ceux qui connaissent ou ont compris le système de gagner leurs nouvelles places. Nombre d’autres les laissent perdre, témoin le nombre de places restées vides dans le théâtre.
© Photo Bregenz / Anja Köhler
Madama Butterfly est certainement parmi les opéras les plus joués dans le monde. Œuvre intimiste, tournant autour d’une héroïne éplorée, elle s’est trouvée transposée sur de vastes scènes de plein air, notamment à Vérone et Avenches, qui toutefois présentaient une maison japonaise. C’est maintenant Bregenz qui, pour la première fois, propose ce spectacle dans un décor de Michael Levine. On est habitués aux immenses décors et aux machineries sophistiquées de la « scène flottante » du lac de Constance. Ici, ce soir, rien de tout cela, une simple feuille de papier froissée de 23 mètres de haut sur 33 mètres de large, qui pourrait être le contrat de mariage de Cio-Cio-San avec Pinkerton, signée en rouge, en haut à gauche, de la main de l’héroïne, et qui s’autodétruit par le feu après sa mort. L’idée est séduisante, mais sa traduction dans les faits revient à reconstituer le décor de La Ruée vers l’or, de Chaplin, et à y jouer toute l’action. Il en sort de jolis tableaux colorés, mais sans grande signification. Et que font donc, sur les pentes glacées du Mont Fuji, tous ces personnages réduits par la distance à la taille de fourmis habillées de jolies couleurs par Antony McDonald, s’agitant en tous sens sous la direction d’Andreas Homoki, sans aucun point de repère ni d’abri ? Le livret impose un environnement précis, une maison, quelle qu’en soit la forme ou la composition, où puisse se dérouler ce drame intime colonialiste. Sans ce point d’ancrage, tout semble flotter dans un espace sidéral, et l’ennui finit par s’installer. Par ailleurs, l’insistance avec laquelle ce « salaud de Pinkerton » doit assumer toute la responsabilité de ses actions, sous la bannière étoilée qui apparaît dès le début et dont l’héroïne se vêt, retire à la production toute réalité intemporelle, ce qui est très dommage.
© Photo Bregenz / Karl Forster
Donc, au bout d’une heure, nous devons gagner la salle intérieure, où joue l’orchestre retransmis habituellement en extérieur par haut-parleurs. Tout y est déjà en place, une large bande étant prévue à l’avant-scène pour permettre aux chanteurs, qui ont gardé leurs costumes, de venir achever la représentation. Le Wiener Symphoniker, dirigé par Enrique Mazzola, un habitué de Bregenz, fait merveille. Mais puisque la chance (?) nous a été donnée de pouvoir comparer l’audition directe à celle diffusée par haut-parleurs en extérieur, quelle que soit la qualité de l’installation technique, qui est de tout premier ordre, force est de constater une fois de plus que rien ne peut remplacer l’audition directe… Le même phénomène est inversement perceptible pour les voix, tout particulièrement pour Barno Ismatullaeva, qui joue une Cio-Cio-San fort honorable, mais avec les tics, les minauderies et une perpétuelle agitation souvent le fait des titulaires de ce rôle. La voix est claire et forte dans les aigus, avec toutefois une perte importante de puissance dans le médium. Or ce problème vocal est gommé par la diffusion via haut-parleurs, alors qu’il reste bien évidemment très perceptible en salle. Parmi les autres protagonistes, le Sharpless de Brian Mulligan se distingue tout particulièrement par sa puissance et son autorité, tandis que le Pinkerton d’Edgaras Montvidas souffre quelque peu d’aigus à l’arraché. La Suzuki d’Annalisa Stroppa brille par son effacement, ou son peu de charisme scénique, alors que le Goro de Taylan Reinhard est fort bon. Quant aux Prager Philarmonischer Chor, on en attendait bien évidemment le chœur à bouche fermée du lever du jour sur la baie de Nagasaki, et l’on en sort avec une impression mitigée, comme pour tout l’ensemble de la production qui rappelons-le, ne doit pas durer plus de deux heures, et est donc entachée de coupures et de suppression de personnages… Mais il conviendra bien sûr de revoir ce spectacle l’an prochain, en espérant cette fois un ciel plus clément.