Décidément, Leonardo García Alarcón ne cesse d’éblouir les auditeurs d’Ambronay, tout en illustrant par ses changements de registres le thème de la métamorphose retenu pour cette 33e édition. Après avoir ouvert le festival aux accents d’un Nabucco de Falvetti inédit, voilà qu’il nous donne quinze jours plus tard une magistrale leçon d’interprétation de Mozart, dans laquelle nous retrouvons aussi le très beau Chœur de Chambre de Namur. Au programme, deux œuvres ultimes, testamentaires, du maître et génie. Tandis que le Concerto pour clarinette K. 622 (interprété avec virtuosité et sensibilité par Benjamin Dieltjens sur un splendide cor de basset) dégage une lumineuse mélancolie, le lien suggéré avec le Requiem en fait apparaître aussi la dimension quasi vocale et proprement opératique. Les couleurs expressives et le phrasé de la mélodie, servis par la virtuosité du soliste et par une direction propice à l’expression des affects, donnent l’illusion d’entendre le chant d’une voix qui s’élève par moments au-dessus d’un orchestre New Century Baroque que caractérisent la finesse et le sens des nuances.
Comme une réponse plus profonde, plus tragique mais tout aussi lumineuse en même temps apparaît le Requiem, donné ici dans une interprétation qui résulte de l’étude minutieuse du manuscrit par Leonardo García Alarcón. À la suite des travaux du musicologue Franz Beyer et de la version publiée en 1986 par Richard Maunder, le chef argentin a supprimé le Sanctus et le Benedictus, composés par Süssmayer. Ce qui en ressort à l’évidence, c’est un nouvel éclairage et un éclaircissement de l’œuvre, au terme de ce qu’on pourrait qualifier de somptueux allègement. Rappelant le programme du classicisme allemand énoncé en 1755 par Winckelmann, l’interprétation met en évidence « la noble simplicité et la calme grandeur » d’un Requiem dans lequel Alarcón réintègre l’Amen redécouvert en 1960. Toute l’agitation, toutes les palpitations d’une œuvre passionnée sont maîtrisées dans une vision cohérente qui dessine un chemin vers la lumière et l’apaisement.
Parmi les voix se distinguent en premier lieu la jeune soprano Lucy Hall, à l’émission aisée et au timbre suave, avec des aigus incisifs, et Josef Wagner, dont la voix de basse bien timbrée dégage à la fois chaleur et solennité. Le ténor Hui Jin et l’alto Angélique Noldus ne sont pas en reste : le premier dispose d’une voix limpide et d’une diction claire, capable aux moments nécessaires de donner tout le volume requis ; les interventions de la seconde sont moins appuyées, comme le veut la partition, mais caressantes, révélant une grande palette de nuances et beaucoup de délicatesse.
C’est la première fois que Leonardo García Alarcón, qui est en résidence au CCR (Centre culturel de rencontre) d’Ambronay, dirige ce Requiem, et c’est un coup de maître, en très belle adéquation avec ce lieu privilégié qu’est l’Abbatiale. Pour tous ceux qui n’ont pu l’entendre (et pour tous ceux qui l’ont entendu), le concert sera proposé au disque sous le label Ambronay Éditions en 2013.