Hommage à Maria Callas à l’occasion du 40e anniversaire de sa disparition : Lucia di Lammermoor, un des rôles signatures de La Divine, en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées. Hommage paradoxal. Alors que Callas s’est employée d’une voix sombre à développer l’envergure dramatique de la partition, la titulaire du rôle ce soir se range dans la catégorie des sopranos lunaires, pour ne pas dire légères, plus conformes à la tradition. La créatrice de la partition, Fanny Tacchinardi-Persiani, était dotée, paraît-il, d’une voix argentine, brillante mais peu étoffée. Ne serait-ce qu’une question d’étoffe, le témoignage serait incongru mais Jessica Pratt a développé auprès de professeurs belcantistes chevronnés une technique qui lui permet de revendiquer sa place parmi les héritières de Callas. « Regnava nel silenzio » brodé de trilles, d’aigus filés et augmentés vaut autant par ses multiples effets que par les intentions dont la soprano pare chaque mot. La leçon a été retenue. Une longue ovation accueille l’interprétation de la scène et l’on envisage, non sans délice, une soirée d’exception. Un peu trop vite.
© J.P. Raibaud
Non qu’ensuite cette Lucia de cristal ne démérite. Au contraire, elle continue de piquer des notes toujours plus haut d’une voix que l’on peut trouver métallique mais dont le style ne saurait être remis en question. La version de concert, hélas, ne prédispose pas à l’engagement théâtral. La direction inégale de Roberto Abbado, tantôt essoufflée, tantôt inspirée (le duo entre Lucia et Edgardo) n’aide pas les ficelles du drame à se nouer. Pourtant, les cordes de l’Orchestre national d’Ile de France font assaut de sentiments ; l’Ensemble Lyrique Champagne Ardenne chante d’une seule voix et le jeune Xavier Anduaga, dans le rôle peu valorisant d’Arturo, rappelle qu’être ténor et basque relève du pléonasme. La soirée se métamorphose cependant en une succession de numéros où chacun vient chanter du mieux qu’il peut, reçoit sa part d’applaudissements et laisse la place au suivant. Envisagée comme un étalage de virtuosité, la scène de folie laisserait insensible si dans un sursaut tragique, « spargi d’amaro pianto », varié à propos, ne venait rappeler les enjeux d’un opéra qui décida du destin de Madame Bovary.
Appelé à la rescousse in extremis, Luca Salsi aurait voulu une ou deux répétitions supplémentaires pour se glisser comme il convient dans les chausses de l’infâme Enrico. Quelques décalages et surtout le défaut de complicité avec ses partenaires trahissent le manque de préparation. Autre remplaçant de dernière minute, Riccardo Zanellato propulse le personnage secondaire de Raimondo au premier plan d’une voix de basse suffisamment souple et pour faire de ses deux grands cantabile deux moments particulièrement applaudis.
D’un format vocal moindre, Paolo Fanale se jette dans la mêlée avec le courage de ceux qui n’ont rien à perdre. En retrait dans les ensembles, Edgardo finit par imposer dans sa dernière aria un timbre séduisant et un chant égal qui use à propos de la voix mixte pour appuyer l’expression. Non pas héroïque mais sincère et investi, de cet investissement dramatique qui est une des leçons de Callas, parmi d’autres.