Il faut le faire pour anesthésier une Lucia de Lammermoor. C’est pourtant le résultat auquel parvient Stanislas Nordey dans la nouvelle production proposée par l’Opéra de Lille.
Les décors (Emmanuel Clolus) sont réduits au strict minimum, atteignant au premier et troisième actes un ascétisme quasi wilsonnien plutôt réussi (des parallélépipèdes géants pour délimiter la scène puis des troncs d’arbres qui tombent des cintres à l’acte 1, une scène nue avec la lune comme seul accessoire à l’acte 3), bien mis en valeur par les éclairages de Stéphanie Daniel. Le deuxième acte, moins heureux visuellement, se passe dans une salle qui rappelle un dancing un peu suranné, couleur mélaminé.
Encore faut-il habiter ces espaces vides. Stanislas Nordey a beau affirmer dans sa note d’intention avoir axé son travail sur la direction d’acteur, on a bien du mal à en percevoir le bénéfice. Que de statisme et de pesanteur. Pourquoi laisser les deux amants côte à côte les bras ballants pendant tout une partie de leur duo de l’acte un ? Pourquoi Edgardo fait-il irruption au mariage tranquillement comme s’il faisait sa promenade du dimanche ? On pourrait multiplier les exemples : où sont le drame et la violence du livret ? Reste la scène de la folie qui semble avoir plus intéressé le metteur en scène, sans qu’on sorte pour autant de la convention.
Dans ces conditions, la Lucia de Rachele Gilmore peine à émouvoir. Jeune valeur montante (elle a déjà chanté au Metropolitan Opera et à La Scala le rôle d’Olympia), la soprano américaine était attendue dans ce rôle phare du bel canto romantique. La chanteuse a pour elle une maîtrise de la technique (les trilles et autres abbellimenti sont joliment réalisés) et une belle extension dans l’aigu. Reste qu’il s’agit ici d’une Lucia légère ; le médium est encore un peu tendre et le timbre manque de profondeur et de variété pour épouser et exprimer tous les tourments puis l’aliénation de la jeune fille. Son amant, Edgardo (Georgy Vasiliev), ne peut se prévaloir d’un timbre éclatant ; le ténor russe, qui remplace son compatriote Alexey Dolgov initialement prévu, séduit davantage dans la demi-teinte et parvient à toucher dans sa scène finale.
La belle surprise de la soirée vient de Roman Burdenko (Enrico). Voix plutôt claire mais bien timbrée, à l’aigu percutant, le baryton russe qui a gagné de nombreux prix (dont le deuxième prix du Concours Long-Thibaud-Crespin en 2011 et le troisième prix au concours Operalia en 2012) est un chanteur à suivre. L’autre bonne surprise est le Normanno bien chantant d’Enrico Casari, dans ce rôle souvent sacrifié. Les autres seconds rôles sont bien tenus, Raimondo et Alisa sonores mais frustes de Scott Conner et Julie Pasturaud, Arturo efficace mais un peu nasal de Philippe Talbot.
Le Chœur de l’Opéra de Lille, peu flatté par la mise en scène, est homogène et brillant, mais on note des décalages avec l’orchestre, qui se règleront au fil des représentations. On applaudit en revanche sans réserve à la direction du chef italien Roberto Rizzi Brignoli, parfois surprenante dans ses tempi mais insufflant (elle est un peu seule) du drame et de la passion. L’Orchestre de Picardie le suit sans sourciller, malgré une certaine fébrilité des cuivres. On notera enfin la belle prestation de la flûtiste soliste Sophie Chalvin-Le Guern accompagnant avec poésie les variations de la scène de la folie.