Il est toujours étrange de voir les théâtres, à la fin de chaque saison, faire émerger de leur attirail statistique les taux de remplissage des salles qu’ils commentent généralement avec orgueil. Mais même à l’opéra, le succès populaire ou, ce soir, son insuccès, ne fait pas la qualité d’un spectacle, et c’est une salle bien peu remplie qui venait assister ce soir à la reprise d’une des productions les plus accomplies de l’ère Mortier, qui emporte le livret d’une femme « immortelle », perdue dans les identités qu’elle s’est créées, dans l’univers cinématographique des années 50 et l’intimité douloureuse de Marilyn Monroe.
« Comme femme, j’ai gâché ma vie. Les hommes avec lesquels je suis attendent trop de moi, à cause de l’image que l’on a faite de moi – que j’ai moi-même faite de moi ».
Si le fétichisme de Warlikowsky pour le mobilier de salle de bain avait de quoi intriguer dans Parsifal, il permet ici d’inscrire une distance efficace entre la vie de scène de Marty, qui apparaît au deuxième acte dans la main d’un immense gorille hollywoodien, et le pathétique de la star en coulisses, lorsqu’elle change de robe et de chaussures enfermée dans des sanitaires austères où vont se jouer les éléments essentiels du drame. Emilia Marty, également Ellian MacGregor, Ella Müller, Eugenia Montez et Ekatherina Myschkina, intemporelle malgré elle après avoir essayé involontairement l’élixir de vie fabriqué par son père, cherche en intriguant au milieu d’une affaire d’héritage à retrouver la formule (rédemptrice ?) pour finalement y renoncer, saoule, en avouant son nom ; scène d’une très grande beauté, où les dernières paroles de l’actrice, sont projetées sur le mur de la scène comme un générique de film, mais floues, ondulantes, tandis que la star se noie : « Oh si vous saviez comme il vous est facile de vivre ! Vous qui êtes si proches de tout ! Mais la vie s’est arrêtée en moi, et n’ira pas plus loin ».
On admire aussi le montage des vidéos de Marilyn Monroe, qui impose à l’ouverture de l’œuvre une architecture « classique », en annonçant, dans la juxtaposition des scènes les plus glorieuses de l’actrice et les déclarations d’avocats au parfum de scandale, cette dichotomie qui est la clef de voute de l’œuvre.
En supprimant de la pièce de Capek, qui avait d’ailleurs refusé d’en écrire le livret, les digressions les plus philosophiques, Janacek rend l’œuvre à son personnage principal ; Angela Denoke assume brillamment cet honneur et tient cette scène finale avec une remarquable intensité ; malgré une faiblesse technique qui s’était faite ressentir déjà cette année dans Fidelio (et un vibrato assez artificiel), son timbre incandescent garde encore une très belle ampleur, même dans l’immense salle de la Bastille.
En compagnie de Charles Workman, qui lui aussi nous gratifie ce soir, entre quelques aigus difficiles, d’un timbre splendide, ils réalisent dans le duo du première acte une direction d’acteur impeccable.
L’orchestre, sous la direction de Tomas Hanus, nous prouve encore une fois sa maîtrise dans ce répertoire et délivre d’une partition complexe et éclatée, une interprétation claire, peut-être trop galante, mais des sonorités riches grâces aux pupitres de vents particulièrement en forme.
Et parce que l’effort de publication, dans le programme, d’un choix de textes d’analyses et de photographies très juste, on remercie, puisqu’il en est encore temps, Gérard Mortier pour avoir donné à cette entrée au répertoire de l’Opéra de Paris tant d’éclat.