Richard WAGNER
(1813-1883)
Siegfried
Deuxième journée du Ring des Nibelungen
Livret du compositeur
Mise en scène : David McVicar
Décors et costumes : Rae Smith
Lumières : Paule Constable
Conception des marionnettes : Mervyn Millar
Responsable vols et déplacements : David Greeves
Chorégraphie : Andrew George
Siegfried : Lance Ryan
Mime : Colin Judson
Wanderer : Jason Howard
Alberich : Oleg Bryjak
Fafner : Jyrki Korhonen
Erda : Alexandra Kloose
Brünnhilde : Jeanne-Michèle Charbonnet
Waldvogel : Malia Bendi Merad
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Cor solo : Jérome Hanar, Tuba solo : Micaël Cortone d’Amore
Direction musicale : Claus Peter Flor
Nouvelle production
Strasbourg, Opéra, 30 janvier 2009
Les ténors wagnériens ne sont pas morts !
Dans l’interview (ou plutôt conversation à bâtons rompus) de David McVicar par André Tubeuf figurant dans le programme (toujours aussi riche), le metteur en scène souhaite que le spectacle soit « amusant et drôle. Sans ça, Siegfried à la scène peut être franchement pesant. On est là assis cinq heures à se dire : “Qu’est-ce que ça peut me faire ?“ ».
Pari gagné : on ne s’ennuie pas à ce Siegfried, tant McVicar, dans la veine des précédents volets du Ring alsacien, sait concevoir des images marquantes et surtout, belles.
On retrouve ainsi le splendide décor du rocher de Brünnhilde, fait d’un immense masque brisé, symbole de la défaite des Dieux et sur lequel, pourtant, renaît leur future « salvatrice », une forêt inquiétante à souhait dont les branches mouvantes ressemblent à des pattes d’araignée (on pense à Caspar Friedrich mais aussi à Tim Burton et son Sleepy Hollow), tandis que la scène de la forge semble sortir d’un film de Fritz Lang. On retrouve également les marionnettes et les masques qui font une des spécificités de ce Ring : cela permet de surmonter les difficultés scéniques que constituent l’entrée de Siegfried entraînant un ours, des apparitions de l’oiseau ou du dragon. Celui-ci est d’ailleurs particulièrement réussi avec son masque (qui est celui de Fafner vu dans Rheingold), et ses pattes géantes (mues par des figurants) qui le font ressembler à un immense crabe.
Ces superbes images sont associées à une direction d’acteurs toujours aussi prodigieuse qui apporte de plus ici une vie et un humour des plus appréciables car, il faut bien l’avouer, Siegfried n’est sans doute le plus réussi des opus du Ring, et les longueurs guettent. Il est ainsi difficile, et ce, pour n’importe quel metteur de scène, de soutenir l’intérêt avec les énigmes de Mime au Wanderer (et réciproquement) au premier acte, puis avec les allers et venues d’Alberich, de Mime ou de l’Oiseau au deuxième acte. McVicar fait tout pour soutenir l’attention, et y réussit en grande partie.
On n’oubliera ainsi pas la scène hilarante où Mime confectionne un gâteau en même temps (et au même rythme !) que Siegfried forge l’épée, Siegfried se blottissant en position fœtale lorsque Mime ou Brünnhilde évoquent sa mère, Mime et Alberich se chamaillant comme des gamins, Siegfried prenant Mime dans ses bras juste après l’avoir tué etc. On pourra par contre trouver un peu exagérés ou curieux quelques autres moments, comme certains gags (l’entartage de Mime par Siegfried) ou le baiser de Siegfried à Brünnhilde qui tourne au roulage de patin en règle. Néanmois, chaque personnage est superbement campé et Siegfried est loin d’être un abruti, McVicar réussit à le rendre touchant et émouvant, tout comme la figure de Mime. On est ébahis d’admiration par la mémoire non seulement musicale des chanteurs, mais aussi par leur mémoire des mimiques et jeux de scène élaborés par Davic McVicar car ils sont incessants et fort élaborés ce qui nous offre de vrais personnages et une grande vie sur scène.
Les chanteurs ont à ce titre offert de vraies performances d’acteurs, à commencer par un Colin Judson absolument prodigieux en Mime qui semble se régaler des jeux de scène où il montre avec une drôlerie irrésistible qu’il fut bien autant un père qu’une mère pour Siegfried. Vocalement, la réussite est tout aussi fantastique. Avec un chant toujours élégant et fin, il ne verse jamais dans la facilité ou la caricature. Une éblouissante incarnation.
Le Siegfried de Lance Ryan est tout aussi impressionnant. Affichant une belle et solide voix, il traverse cet ouvrage avec une facilité déconcertante et on le trouve tout aussi « frais » à la fin du duo avec Brünnhilde qu’au chant de la forge. Il a tout du Siegfried voulu par McVicar : viril, fougueux, virulent, mais aussi rêveur, tendre et touchant, et il réussit à être tout cela tant scéniquement que vocalement étant capable de glorieux aigus comme de subtiles demi-teintes. Une découverte donc !
Ces deux remarquables ténors dominent la distribution, et si on se rappelle de Simon O’Neill qui incarnait magnifiquement Siegmund l’an dernier, on se dit que les ténors wagnériens sont bien de retour !
Le Wanderer de Jason Howard séduit toujours autant par la richesse et la beauté de son timbre, avec notamment des graves somptueux. Malheureusement, on le sent gêné dans l’aigu, tendu, et par la prononciation de l’allemand. Il n’en reste pas moins un Wotan imposant.
On pourrait en dire autant de la Brünnhilde de Jeanne-Michèle Charbonnet : voix riche et ample, mais au vibrato sensible et à l’aigu tiré. L’incarnation, chaleureuse et touchante, est d’une féminité débordante et emporte totalement le spectateur.
L’Erda d’Alexandra Kloose, avec sa profonde voix d’alto, est parfaite tout comme l’Alberich d’Oleg Bryjak, toujours aussi enthousiasmant par la voix tranchante et la puissance de l’incarnation.
Plus décevant par contre le Fafner de Jyrki Korhonen, visiblement en méforme, tandis que l’Oiseau de Malia Bendi Merad enchante par un timbre délicieux.
On considère parfois Siegfried comme un scherzo du fait de l’écriture orchestrale particulièrement fine et riche en détails, du recours fréquent aux tempi alertes et aux mesures à trois temps. Claus Peter Flor semblait ainsi le mieux à même à défendre cette optique pour avoir souvent dirigé la musique de Mendelssohn (qui n’est d’ailleurs pas sans avoir influencé Wagner explique-t-il dans une passionnante interview). Ce fut effectivement un heureux choix tant sa direction réussit à faire entendre toute la richesse de l’orchestration de l’ouvrage. D’une grande clarté et surtout d’une précision remarquable, elle peut se reposer sur un Philharmonique de Strasbourg absolument superbe. On remarquera notamment un très beau pupitre de cors ainsi que le superbe et expressif tuba de Micaël Cortone d’Amore. On souhaiterait peut-être parfois être plus emporté par cette direction très claire, plus proche de Boulez que de Böhm, mais ce qu’on gagne en transparence et en subtilité est fort appréciable et particulièrement adapté à cet opéra.
Même si le soufflet retombe donc légèrement avec Siegfried – mais la faute en incombe sans doute aussi à Wagner – on n’en reste pas moins toujours autant séduit par ce Ring alsacien dont il faudra, hélas, attendre 2011 pour en voir la fin…
Pierre-Emmanuel Lephay
Prochaines représentations :
STRASBOURG, Opéra : ve 30 janvier 18h30, lu 2 février 18h30, sa 7 février 18h30, ma 10 février 18h30, ve 13 février 18h30
MULHOUSE, Filature : ve 27 février 18h30, Di 1er mars 15h