« Elle contient un nombre considérable de beaux morceaux expressifs pleins de feu et d’un riche coloris » écrivait Hector Berlioz à propos de la partition des Pêcheurs de perles en 1863 dans Le journal des débats. Le maitre avait le jugement sûr. On le vérifie près d’un siècle et demi plus tard sur la scène de l’Opéra-Comique où, dans une salle à sa juste mesure, le premier chef d’œuvre de Georges Bizet n’a rien perdu de son éclat mélodique.
Encore eût-il fallu, pour en apprécier l’entière éloquence, se sentir plus en phase avec une production dont certains arguments peinent à convaincre. Le retour à la version d’origine est assurément une bonne option. La cohérence dramatique de l’œuvre s’en trouve renforcée. On y perd « Ô lumière sainte » au troisième acte mais on y gagne au premier « Amitié sainte » que la tradition avait écarté au profit d’une reprise de « Oui, c’est elle, c’est la déesse », au point de transformer le thème, qui revient plusieurs fois au cours de l’opéra, en rengaine.
Le choix de Yoshi Oida à la mise en scène semble plus discutable. Ce disciple de Peter Brook a décidé de « réinventer un exotisme qui puisse fonctionner pour le public d’aujourd’hui ». D’où un décor vaguement lunaire (la lune, l’équivalent aujourd’hui des Indes autrefois) et des costumes moyen-orientaux censés appuyer la transposition. Au cas où l’on n’aurait pas compris, l’intégriste musulman veut signifier le dogmatisme absolu des pêcheurs cingalais. Seule l’absence de mitraillettes empêche la panoplie d’être complète. Plus pesant encore, le statisme qui plombe la scénographie. On a adjoint aux choristes une troupe de danseurs afin d’impulser au plateau l’illusion du mouvement. Mais aussi harmonieuses soient certaines glissades, le procédé s’avère inefficace si on laisse chanteurs et choristes figés, les bras ballants, comme c’est ici toujours le cas.
La meilleure idée reste d’avoir placé Zurga au centre de l’œuvre, parce qu’André Heyboer en propose une interprétation mémorable. Il passe comme l’ombre d’Ernest Blanc dans ce chant à l’articulation exemplaire. Sans posséder l’aigu héroïque de son glorieux ainé, la voix est longue, solidement campée sur le médium avec suffisamment de nuances pour ne pas succomber à la tentation marmoréenne. Sonore, vaillant, ce Zurga domine de son autorité le reste de la distribution. Qu’il s’agisse du Nourabad de Nicolas Testé en proie à une tessiture trop élevée pour ses moyens actuels, ou du Nadir peu idiomatique de Dmitry Korchak, lui aussi mal à l’aise avec une écriture tendue qu’il tente de juguler par la force. Erreur fatale à l’élégance d’un des rôles les plus délicats du répertoire.
Ni Lakmé, ni Ophélie, Leila exige pour autant une virtuosité à toute épreuve, qui n’est pas forcément le point fort de Sonya Yoncheva. Le trac aidant, l’aigu peut paraître dur, le trille esquissé et certains sons insuffisamment filés. On tombe malgré tout sous le charme de ce soprano lyrique, d’une belle égalité et d’une indéniable plastique, que l’on aimerait retrouver dans des rôles plus conformes à sa vocalité. Micaela, par exemple pour ne pas quitter Bizet, à laquelle elle pourrait offrir une sensualité troublante, doublée d’une bonne diction.
Si cohésion et couleurs sont au rendez-vous, on aurait pu espérer d’Accentus un français plus intelligible. Tout comme on aurait pu attendre des cuivres de l’Orchestre Philharmonique de Radio France davantage de justesse. Leo Hussain explique dans le programme que l’orchestration des Pêcheurs de perles « repose sur l’opposition de deux mondes sonores : celui de l’amour […] que prennent en charge les cordes […] et celui des pêcheurs qui bénéficient d’une musique peine d’énergie ». Au parterre, coté cour, c’est la brutalité des seconds qui l’emporte sur la poésie du premier. Leur cœur n’a pas tout à fait compris le mien.
Version recommandée (1863)
Bizet: Les Pêcheurs des Perles | Georges Bizet par Georges Prêtre