2014 est l’année du grand retour de James Levine, pilier de la fosse du Metropolitan Opera de New York avec plus de 2 500 représentations à son actif. Après quelques saisons en pointillés dues à des soucis de santé récurrents, c’est avec le premier opus de la trilogie Mozart-Da Ponte que le chef américain reprend de la baguette. A cette occasion une nouvelle production signée par Sir Richard Eyre (l’artisan du Werther avec Jonas Kaufmann en février dernier).
Le Britannique a conçu cette folle journée dans un décor unique et pourtant multiple. Sur une tournette, de grandes colonnes de métal, aux motifs mauresques de l’Espagne andalouse du livret, sont disposées en triangle et délimitent les différentes pièces : là la chambre offerte au couple de serviteurs, ici celle de la comtesse avec sa grande fenêtre d’où sautera Chérubin et ailleurs une salle de bal etc.
Si ce décor est froid et austère, peu plaisant à l’œil, il s’avère ingénieux pour faire s’enchainer les scènes à un rythme rapide et ménager certains effets comiques : une course poursuite entre le Comte et le page, une cachette d’où les uns épient les autres… La panoplie en somme de Nozze di Figaro amusantes, mais un brin inoffensives quant à la dimension plus politique de l’œuvre. Pourtant, à en juger par l’habit, nos moines ont été transposés dans une époque victorienne où les rapports de classe auraient pu être interrogés plus avant. Il n’en sera rien. Le spectacle reste spectacle, un divertissement.
Isabel Leonard et Marlis Petersen © Ken Howard / Metropolitan Opera
Les interprètes de la soirée prennent un plaisir manifeste sur scène toutefois, notamment dans les scènes de groupe que Richard Eyre réussit particulièrement. La direction d’acteur est au rendez-vous dans ces moments et fait merveille quand la distribution compte dans ses rangs le Comte de Peter Mattei toujours autant à l’aise sur scène qu’en voix. Le britannique semble en revanche bien moins inspiré lorsqu’il s’agit de diriger les arie et d’y insuffler un peu de théâtre. Au mieux la situation sera convenue, telle cette éternelle comtesse sur son lit en ouverture de l’acte II. Au pire le jeu sera inexistant pour les airs du 4e acte notamment ceux du Comte, de Figaro et de Suzanne. La final dans le jardin est étonnamment raté. Pas de cachettes (malgré le décor !) pas de faux-semblant non plus et même quelques contresens : Suzanne déguisée en Comtesse chantera son seul vrai air en face de Figaro, qui à ce moment de l’action n’est pas encore au courant de la supercherie.
Dès lors, l’art des interprètes prend toute son importance, Peter Mattei tire son épingle du jeu comme à son habitude. On se souvient de ses incarnations mozartiennes à Paris en particulier de son Don Giovanni, son Almaviva new-yorkais expose d’emblée la richesse de son timbre qui lui font se glisser dans la peau de son personnage instantanément. Souffle, legato et sens du phrasé font le reste : il est un des meilleurs Comte actuel. Sa Rosine est interprétée par Amanda Majeski, élégant soprano, qui maitrise parfaitement le rôle tant dans la tessiture où elle se coule avec aisance que dans le phrasé. Un vibratello, cependant, est présent en permanence à tel point que l’incarnation en pâtit quelque peu. La mezzo soprane Ingeborg Gillebo (Chérubin), jeune norvégienne habituée de l’opéra d’Oslo, faisait ses débuts au Met ce soir-là en remplacement d’Isabel Leonard. Belle découverte et bonne surprise de la soirée elle déploie un phrasé remarquable et de belles nuances dans ses deux airs. Tout comme la Suzanne de Marlis Petersen dont le timbre épouse la malice du personnage. S’il faut quelques scènes pour que la voix prenne toute son ampleur, la chanteuse allemande assume discrètement mais avec beaucoup d’intelligence musicale ce rôle central de l’opéra. Elle brille enfin dans son seul air « deh vieni non tardar ». Ildar Abdrazakov représente quant à lui l’entre deux de la soirée : il est vocalement irréprochable mais laisse un peu sur sa faim côté incarnation scénique et coloration du chant.
Les comprimari n’ont pas à rougir pour autant : truculent Bartolo quoiqu’un peu court vocalement de John del Carlo ; Greg Fedderly beau ténor de caractère en Basilio et le reste de la distribution est à l’avenant.
La soirée aurait donc pu être une bonne soirée de répertoire dans une des grandes maisons d’opéra du monde. Elle prend une autre ampleur grâce à la direction simple et évidente de James Levine. Dans un style classique et méticuleux, il façonne un théâtre haut en couleurs aria après duo et trio, de scènes chorales en introductions orchestrales avec un style idoine tant au regard de la partition de Mozart que la situation théâtrale du moment. A l’inverse de la geste baroque, la vie de cette musique n’est pas tant dans des contrastes forts de rythmes ou de volumes, mais bien dans le déploiement savamment orchestré des pupitres, des chants et contrepoints.