On connaissait le goût de Peter Sellars pour des versions scéniques d’œuvres toutes plus surprenantes les unes que les autres : après les Passions de Bach vinrent les œuvres chorales de Stravinsky ou la Messe en ut de Mozart. Renouvelant perpétuellement l’exercice de la transposition à la scène d’une musique souvent faite pour le concert, l’homme de théâtre persiste et signe.
L’opus ultime que sont Les larmes de Saint Pierre occupe une place à part dans la production d’Orlando di Lasso. Le compositeur qui ne cache plus sa mélancolie et son détachement du monde se fait plus austère, et plus ramassé que jamais. Si le cycle appartient bien au genre des madrigaux, sa rigueur et son économie de moyens font bien écho aux polyphonies religieuses de la Renaissance. Peter Sellars affirme avoir retenu le caractère « sculptural » de cette douce ascèse, avis derrière lequel on se rangerait volontiers, si les propositions scéniques n’allaient pas systématiquement contre ce premier constat. Le metteur en scène se sert de chaque légère inflexion dans le discours pour nous vendre l’évènement du siècle : tout est souligné, grossi et entouré d’un stabilo jaune fluorescent qu’aucune redondance ne fera reculer. Parasité par des gestes d’une subtilité d’image d’Epinal, le spectacle perd nettement de sa saveur, et s’enfonce peu à peu dans une mièvrerie où le kitsch n’est jamais très loin : quand c’est joyeux, on lève les bras, quand c’est triste, on se roule par terre.
© Tao Ruspoli, Marie Noorbergen
Pourtant, vers le dernier tiers de l’œuvre, on sent poindre une esthétique différente. Les chanteurs s’asseyent, et les évènements scéniques se font plus rares, plus mesurés. C’est dans ces moments que la musique de Lasso repasse au premier plan, retrouvant cet esprit sculptural dont on l’avait privée jusqu’à présent. Les six derniers numéros sont la preuve que l’on pouvait tout à fait se passer d’une illustration caricaturale de l’œuvre pour un public loin d’être sourd.
On ne peut pas reprocher aux membres de la Los Angeles Master Chorale un manque d’investissement : chaque geste pensé par Sellars est interprété jusqu’au bout, avec une extrême concentration, et sans aucune réserve. Pourtant, les propositions musicales mettent du temps à trouver un point d’équilibre. Les deux premiers numéros sont ceux d’un ensemble cherchant encore ses marques, et accusant de nombreux défauts d’intonation et de couleurs criardes (pas nécessairement à dessein). Si la justesse finira par s’installer peu à peu au fil de la soirée, les voyelles ouvertes dans le forte seront souvent plates et acides.
Néanmoins, la direction de Grant Gershon privilégie une synthèse et une homogénéité, tout en ménageant des contrastes bienvenus entre différents groupes vocaux. Le chemin vers le point culminant de chaque madrigal est conduit avec maîtrise, et n’est brisé que par les soubresauts de la mise en scène.
Accueillis par une ovation tonitruante, les acteurs de ce spectacle peuvent au moins se targuer d’avoir rapproché le public de la musique de Lasso. Nous ne cacherons pas pour autant notre réserve quant à une bonne partie du spectacle, où la scène tente vainement de souligner une musique qui s’en passerait volontiers.