La Première applaudie ce mardi à l’Opéra Bastille n’en n’est pas tout à fait une puisque qu’il s’agit de la septième reprise de la version facétieuse de L’Elisir d’amore imaginée par Laurent Pelly en 2006. Le philtre dont il est question ici est sans doute également celui de l’éternelle jeunesse car cette production conserve aujourd’hui encore toute sa grâce. Le décor campe avec un réalisme teinté de poésie une campagne d’après-guerre, entre les décennies 1950 et 1970, mêlant les grandes heures de Cinecittà et la France photographiée par Raymond Depardon.
Les blouses et fichus des paysannes pourraient être laids, ils sont pleins de charme ; le plateau est traversé par tous les moyens de locomotion imaginables : vélo, solex, vespa mais également – plus rares sur les scènes lyriques – camion et tracteur ! Ces éléments disgracieux de prime abord apportent au contraire une saveur délicieuse à l’ensemble. De même, l’immense meule de foin du premier tableau nous transporte immédiatement hors du quotidien.
De nombreux traits d’humour ensoleillent également la soirée : un parasol rouge devient étendard de rébellion féministe, un chien traverse inopinément la scène, le rideau d’entr’acte reprend les codes d’une page de publicité à l’ancienne où l’élixir de Dulcamara semble souverain pour les maux les plus divers, de la constipation aux odeurs sui generis en passant par les chagrins d’amour…
Les lumières de Joël Adam questionnent quelque peu dans cette scénographie si réussie : elles sont très belles, suivant le cheminement imaginaire de cette journée de fin d’été où se nouent les destinées amoureuses. Pourtant, leurs transitions s’avèrent désagréablement brutales comme pour dénoncer la théâtralité, l’artificialité du jeu de dupes auxquels se livrent les différents personnages ; à moins, plus prosaïquement, que cette première représentation ne demande encore quelques réglages.
© Opéra national de Paris
Dans ce cadre extrêmement soigné, les quatre protagonistes principaux du « melodramma giocoso » pirouettent, bouffonnent à plaisir. La distribution, d’excellente tenue, est particulièrement harmonieuse dans les timbres et les ensembles réjouissent l’oreille.
Les deux amoureux, incarnés par deux chanteurs américains, dominent la distribution. Sydney Mancasola est une Adina corsée et volontaire aux aigus désarmants de facilité. Les voyelles très ouvertes apportent intelligibilité à son italien, tout comme le médium bien timbré ou le phrasé raffiné. Coquette sans être mièvre, elle sait également toucher sans jamais verser dans l’outrance. Face à elle, Matthew Polenzani campe un merveilleux Nemorino, enfant joueur, rieur, tout de pureté et d’innocence. Il l’interprète avec une justesse, une intelligence du jeu et des nuances qui ravissent jusqu’à cette « furtiva lagrima » exceptionnelle où l’immense vaisseau de l’Opéra Bastille se trouve tout entier suspendu à ses pianissimi.
Les deux compatriotes, outre l’aisance scénique, le naturel de l’émission, partagent une impeccable projection et des timbres juvéniles aux palettes claires et chaudes qui créent un très bel équilibre dans leurs duos.
Leur diction impeccable est une qualité partagée par l’ensemble du plateau vocal, indispensable notamment pour les exigeants récitatifs où l’italien « tricote » à grande vitesse. Carlo Lepore y excelle ; son Dulcamara est plein d’ironie et d’abattage, mais on lui voudrait plus d’ampleur, un vibrato moins rapide. Simone del Savio surjoue lui aussi avec délectation l’archétype induit par son patronyme de Belcore ; quel dommage qu’il manque légèrement de focus et passe parfois difficilement la fosse d’orchestre.
Lucrecia Drei complète avantageusement la distribution même si la partition réduite dévolue à Giannetta ne permet pas de rendre justice à ses manifestes qualités vocales. Elle mène les chœurs avec beaucoup d’aplomb. Ces derniers semblent dans un premier temps encombrés par leurs masques donc peu intelligibles avant de trouver un très bon équilibre.
L’orchestre de l’Opéra, quant à lui, est mené avec autant de précision que d’élégance par Giampaolo Bisanti, très à l’écoute des chanteurs, de leurs besoin de suspens, de silence, en particulier dans les moments d’émotion à l’exemple de la supplique de Nemorino à la fin du premier acte. En contrepoint toutefois, quelques tempi plus enlevés auraient apporté un grain de folie supplémentaire à cette réjouissante escapade campagnarde.