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Ivan le Terrible — Salzbourg

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Spectacle
17 août 2010
Le Tsar Muti

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Oratorio pour récitant, mezzo-soprano, basse, chœur d’enfants, chœur et orchestre, op. 116
Version élaborée par Abram Stassevitch d’après la musique composée pour le film de Sergeï Eisenstein (1944)
Texte parlé de Sergeï Eisenstein, texte chanté de Vladimir Lugowsky

Détails

Gérard Depardieu, récitant (Ivan)
Jan Josef Liefers, récitant
Olga Borodina, mezzo
Ildar Abdrazakov, basse
Salzburger Festspiele Kinderchor
direction : Wolfgang Götz
Kontzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
direction : Thomas Lang
Wiener Philharmoniker
direction : Riccardo Muti
Salzburg, Grosses Festspielhaus, 17 août 2010

 

La musique de Prokofiev pour le grandiose film de Sergueï Eisenstein (prononcer « Èïsenchtéïne » et non « Eisenstein », à l’allemande), Ivan le Terrible, est sans aucun doute l’un des chefs d’œuvre méconnus du compositeur russe. Elle fut composée quelques années après la première collaboration entre les deux grands hommes (pour Alexandre Nevsky). Le film est en deux parties et devait en comporter une troisième dont ni le pouvoir soviétique, ni la santé d’Eisenstein ne permirent, hélas, la réalisation complète (elle fut pourtant commencée, mais il semble que les négatifs aient été détruits).

En l’état, le film est déjà un immense chef-d’œuvre tronqué qui semble avoir motivé Prokofiev encore plus qu’Alexandre Nevsky. Sa partition renferme en effet des pièces de toute beauté, de scènes grandioses (le couronnement d’Ivan, la bataille de Kazan…) aux scènes plus intimistes (chanson de l’océan à la poignante mélodie, berceuse…), en passant par de superbes chœurs orthodoxes, des passages d’un intense dramatisme (la supplication et la malédiction des boyards, l’appel du peuple à Ivan…) pour finir sur un chœur époustouflant de puissance et de splendeur sonore.

 

Si Prokofiev transforma certaines de ses musiques de films en suites de concert (Lieutenant Kijé, Alexandre Nevsky), il n’en fit pas de même avec Ivan le Terrible, sans doute parce que le projet de composer la musique de la troisième partie était toujours dans l’air. C’est ainsi Abram Stassevitch qui, après la mort de Prokofiev, en réalisa un « oratorio », sur le modèle d’ Alexandre Nevsky : orchestre, solistes et chœur. Mais ici, Stassevitch ajouta un narrateur qui permet de suivre la trame de l’action de manière non négligeable en alternant les récits et les interventions d’Ivan, parfois sous la forme de mélodrames.

 

Cet oratorio est malheureusement bien moins souvent joué qu’ Alexandre Nevsky. Les moyens requis sont certes plus importants, et il faut louer Riccardo Muti d’avoir fait de cet Ivan le Terrible un de ses chevaux de bataille. On lui en doit ainsi un enregistrement somptueux en 1978 pour EMI (avec le Philharmonia Orchestra et un prodigieux acteur, Boris Morgunov qui campe un hallucinant récitant) et des concerts ici ou là, notamment à Paris avec le National en 1985, et donc ici, à Salzbourg, avec les forces les plus somptueuses possible : Wiener Philharmoniker, chœurs de l’Opéra de Vienne, Olga Borodina et Ildar Abdrazakov en solistes. On s’offre même le luxe de dédoubler le rôle du narrateur afin d’avoir d’une part, le récitant, tenu par un grand acteur allemand, Jan Josef Liefers, et d’autre part, Ivan le Terrible, campé par rien de moins que Gérard Depardieu, tous deux s’exprimant en russe.

 

Muti règne en maître incontestable sur cette impressionnante masse d’environ 150 musiciens et fait rutiler la prodigieuse partition de Prokofiev de manière plus professionnelle que possédée (on imagine un Bernstein qui aurait été déchaîné là-dedans !) mais sans aucne froideur. L’énergie, les éclats et l’émotion sont toujours parfaitement ad hoc.

Par rapport à son enregistrement de 1978, il se montre peut-être un peu moins flamboyant. La fougue de la jeunesse a laissé place à la maturité qui met en valeur l’orchestration et la finesse de certains passages de la partition. On perd un peu de rythme et d’efficacité dramatique pour gagner en finesse et en splendeur sonore, bien sûr accentuée par le fait que Muti conduise le Wiener Philarmoniker, mais une splendeur assez peu russe en réalité…

Il convient en effet de souligner qu’une telle partition, si russe dans son écriture et ses « excés », sonne avantageusement avec des forces intégralement russes, la couleur vocale et instrumentale des formations de ce pays ayant, Dieu merci, encore relativement échappé au son standard international. Mais, pour ce concert, on peut difficilement reprocher à la mariée d’être trop belle et on ne peut que se régaler de la formation viennoise : cuivres cinglants (notamment des tubas impeccables), bois somptueux (le hautbois qui sussurre la plus déchirante des plaintes à la fin de « L’assaut de Kazan »…), percussions fulgurantes, et bien sûr la légendaire rondeur des cordes. Surtout, la formation sait toujours garder une « tenue sonore » impeccable, même dans les tutti les plus fracassants, ce dont la partition ne manque pas.

Côté vocal, c’est la même splendeur qui domine. Les Chœurs de l’Opéra de Vienne se montrent d’un engagement et d’une homogénéité exraordinaires et gardent, eux aussi, une tenue et une puissance qui ne « sature » jamais. A l’opposé, les pianissimi dont ils nous gratifient sont absolument splendides, par exemple pour le chœur à bouche fermée du n° 18.

Que dire d’Olga Borodina si ce n’est qu’elle est absolument renversante par la splendeur du timbre, la puissance de la voix, le legato et l’émotion qu’elle distille dans son chant ? On ne peut rêver mieux. Très belle contribution, bien plus courte, d’Ildar Abdrazakov dans la truculente chanson de Feodro Basmanov. 

 

On pouvait avoir quelques inquiétudes à l’annonce pour ce concert de deux acteurs non-russophones pour les parties parlées. L’allemand Jan Josef Liefers se tire cependant extrêmement bien de la prononciation de la langue de Pouchkine (il fut marié à une actrice russe, ça aide) tandis que Gérard Depardieu, malgré un évident travail, se montre moins à l’aise. Son russe, à l’accent français assez marqué, est en outre parfois entâché d’un rythme un peu mécanique mais dont on sent qu’il l’a aidé à mémoriser la prononciation (à noter que les deux acteurs ont leur texte sous les yeux – on ne le leur reprochera bien sûr pas – et qu’ils sont légèrement sonorisés).

Ceci étant dit, il faut à présent louer l’exceptionnelle performance de jeu des acteurs. Jan Joseph Liefers est absolument extraordinaire en narrateur. Modelant sa voix de manière surpenante et prenante, complètement possédé dans son rôle, il captive l’attention de bout en bout.

Quant à Depardieu, il campe un fantastique tsar Ivan. Avec l’âge et un physique qui s’est singulièrement empâté, l’acteur accède à une dimension nouvelle qui accentue encore sa présence sur scène, celle d’un « ogre », qui convient particulièrement à la terrible figure d’Ivan. Sa rage, (extraordinaire « budu ya adin » – je régnerai seul), ses éclats de voix (notamment lors de la malédiction des boyards), glacent littéralement le sang. Mais il sait aussi se faire doux, suppliant, ou encore « acteur » comme sans doute le fut Ivan afin de manipuler son entourage. Même si l’on ne peut oublier Nikolaï Tcherkassov, qui incarne Ivan dans le film d’Eisenstein, On ne peut qu’être admiratif devant cette prestation assez inattendue il faut bien l’avouer.

 

Certes, on pourrait critiquer une interprétation, tant chez Liefers que chez Depardieu, très extériorisée, physique voire excessive. Mais ce serait là une grave erreur tant ces excès – que l’on retrouve dans la musique – font partie intégrante de l’âme russe, et tant cette violence fait partie de l’exercice du pouvoir en Russie depuis la nuit des Temps. C’est donc tout à l’honneur des acteurs (et sans doute de Muti), d’avoir laissé libre cours à un jeu extrêmement dramatique et prenant.

 

Magnifique concert donc, et l’on ne peut qu’exploser de joie après l’extraordinaire chœur final, sans doute l’un des plus grandioses de l’histoire de la musique avec la 2ème ou la 8ème symphonie de Mahler.

 

En ce 17 août, qui marque précisément la 200e prestation de Riccardo Muti au Festival de Salzbourg (il s’y produit depuis 1971 !), un hommage lui est rendu à la fin du concert par la directrice et l’intendant montant sur scène pour l’occasion. S’il est de bon ton de caricaturer l’allégeance de l’actuelle direction au chef italien, il faut bien reconnaître la figure incontournable qu’il représente cependant, et dans le festival, et dans le monde lyrique. Ses propos de remerciements au public, prononcés avec une simplicité et une modestie touchantes, ne peuvent que susciter émotion et gratification, notamment pour des concerts comme celui de ce jour. Un grand moment.

 

 

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Texte parlé de Sergeï Eisenstein, texte chanté de Vladimir Lugowsky

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Jan Josef Liefers, récitant
Olga Borodina, mezzo
Ildar Abdrazakov, basse
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