Création in loco, première direction lyrique, prise de rôle et têtes d’affiche reconnues : cette production de Rigoletto fait figure d’événement au Théâtre musical de Besançon.
Et le public ne s’y trompe pas en réservant un véritable triomphe à Ludovic Tézier qui après avoir conquis les scènes de New York, Londres ou Paris a choisi la capitale franc-comtoise pour endosser pour la première fois de sa carrière le rôle-titre. Puissante, sa voix met en évidence tous les traits qui caractérisent son personnage. Ligne royale, ton châtié comme on pouvait s’y attendre mais aussi, moins évident a priori, ce surcroît d’humanité nécessaire à un portrait accompli de Rigoletto. A cet égard, l’expression des changements d’humeur dans l’air « Cortigiani, vil razza dannata » est saisissante. La déclamation de Tézier, hachée au départ, devient peu à peu plus mélodique avant que le chant ne se libère totalement dans un legato sans faille. Une performance qui s’accompagne d’un exploit scénique. Se déplaçant tout au long de l’opéra avec les genoux pliés et une bosse sur le dos, le jeu de Tézier, que l’on a souvent dit impavide, traduit au contraire avec justesse les divers sentiments qui secouent son personnage. A quelques aigus près, l’annonce faite en début de représentation d’une mauvaise bronchite ne se fait pas sentir, ce qui semble moins évident pour Cassandre Berthon. La soprano, malade également, apparait davantage en difficulté. L’esprit de Gilda, cette jeune fille frêle soumise aux pouvoirs des hommes, est là ; la technique ne fait pas de doute mais le portrait demeure figé. On attend en vain au fil des actes, la transformation vocale qui accompagne l’évolution du personnage. Florian Laconi, enDuc de Mantoue, complète le trio avec un sérieux qui ne correspond pas à l’idée que l’on se fait du rôle. Mais le contraste produit son effet aussi bien visuellement que vocalement. Une grande présence physique et une voix qui s’impose sans effort, particulièrement dans l’aigu, achèvent de séduire.
Parmi les rôles secondaires, notons la performance de Frédéric Caton qui incarne un Sparafucile en toute sobriété (ce n’est pas si fréquent) et l’aisance avec laquelle Anaïk Morel endosse les rôles successifs de la comtesse de Ceprano, Giovanna et Maddalena. A leurs côtés, le chœur Contre Z’Ut forme un ensemble homogène et de grande qualité.
Jean-François Verdier, nouveau directeur de l’orchestre de Besançon-Montbéliard Franche-Comté, conduit pour la première fois une œuvre lyrique à Besançon. Sa lecture, dynamique, met en évidence les subtilités de la partition sans perdre de vue la construction dramatique d’ensemble.
Brontis Jodorowsky signe une mise en scène contemporaine qui brocarde l’esprit « bling bling » de certains de nos politiques avec référence appuyée au Cavaliere (Gilda et Ruby, même combat ?). La cour de Mantoue se transforme en discothèque malsaine et, au deuxième acte, les courtisans filment et photographient avec leur portable Rigoletto brisé par la douleur. La scénographie minimaliste suffit à suggérer les différents lieux, comme la maison de Gilda délimitée par des barreaux de prison. Si certains effets tapent juste, le metteur en scène aurait pu faire l’économie d’artifices, comme cette neige qui tombe à la fin du troisième acte sur Rigoletto et Gilda agonisant dans ses bras. Ces quelques enjolivements superflus n’empêchent pas, on l’a dit, le public de saluer avec enthousiasme cette nouvelle production.