Rares sont les occasions en France d’admirer ce Songe, pourtant l’une des œuvres les plus célèbres de son auteur, mais qui semble avoir perdu la popularité acquise dès sa création en 1960. Ces représentations à l’Opéra de Lille s’apprécient donc d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une coproduction, diminuant fortement la possibilité d’une tournée.
La mise en scène de Laurent Pelly est relativement inégale. Relativement, car c’est la réussite des premier et dernier actes qui souligne la faiblesse du deuxième. Point de forêt sur le plateau, mais une boite noire miroitante dans laquelle les étoiles scintillent comme des ampoules, et au milieu de laquelle dort sur un lit la bourgeoise Hermia (voilà qui rappelle d’ailleurs sa Belle Hélène). Les elfes apparaissent miraculeusement. Eclairés par leurs propres antennes, ces têtes blafardes luisent et se reflètent comme au-dessus de l’onde. Toujours aussi attentif à la chorégraphie, Pelly anime le plateau avec une justesse éblouissante. Arrivent alors Obéron, Titania et Puck, flottant dans l’air, brusquement pour le lutin, élégamment pour le couple royal (rappelant l’esthétique de Bob Wilson par l’attitude, les costumes et le maquillage) allant jusqu’à jouer avec les cariatides du cadre de scène. Le contraste est d’autant plus fort avec la noblesse athénienne en pyjama, chevauchant leurs lits à roulette jusque dans des joutes ou trainant leur matelas à rayures, et les artisans en habits des années 60. Malheureusement l’acte II ne compte aucune trouvaille et répète platement l’univers exposé, à un croissant de lune près. Au lieu de nous plonger davantage dans le mystère du drame, rendu encore plus inquiétant par les accords déstabilisants de Britten, ces péripéties amoureuses, bien qu’animées, ennuient. La forêt et ses recoins nous manquent dans cette boite vide et lisse que l’on doit enfumer pour perdre les amants, forêt qu’on entendait pourtant dès l’entrée en salle, baignée de bleu et de bruits d’animaux nocturnes. Heureusement le dernier acte et sa dérision trouvent le metteur en scène plus inspiré. Les éclairages varient, les parois vitrées viennent refléter le public et la pauvreté de moyens des interprètes de la maladroite tragédie est riche de trouvailles comiques signalant le brillant directeur d’acteurs.
© Simon Gosselin
Le plateau n’appelle que des éloges. Les rôles secondaires sont tous très bien campés, emmenés par le Quince de David Ireland aussi puissamment caractérisé que chanté. Puck est incarné par une femme, conférant une certaine dose de queerness à un personnage que Charlotte Dumartheray dessine avec un excès réjouissant et une énergie inépuisable. Dominic Barberi est un Bottom gaillard plus sexy qu’à l’accoutumée, tant vocalement que physiquement, sans rien perdre en fanfaronnade ou en balourdise. Du côté des bourgeois athéniens, le souci de la prosodie anglaise est un délice chez le belcantiste Lysander de David Portillo, le très sonore et racé Demetrius de Charles Rice, la presque bouffe Hélèna de Louise Kemény ou l’Hermia agitée d’Antoinette Dennefeld. Enfin le couple féérique jouit de la voix corsée de Marie-Eve Munger qui compense des aigus un peu stridents par un medium riche en harmoniques, tout l’inverse de l’Obéron de Nils Wanderer, qui use avec justesse de sa voix éthérée pour peindre un roi des elfes à la rouerie aussi fantastique que froidement cruelle.
Le Jeune Chœur des Hauts-de-France étonne par son niveau de maitrise et sa tenue, malgré une mise en scène qui leur demande beaucoup de contorsions. L’Orchestre National de Lille est finalement le brillant protagoniste de cette féérie, dirigé avec précision, science des contrastes et des atmosphères par un excellent Guillaume Tourniaire. Le public a réservé un accueil triomphal à cette véritable troupe.