Il fallait oser, il fallait avoir le courage de sortir ce Moïse au mont Sinaï de la naphtaline. Pierre Thirion-Vallet, directeur du Centre lyrique d’Auvergne en assumait le risque, soutenu par le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française, vendredi dernier à l’Opéra de Clermont. Alors il fallait le suivre sans retenue dans cette prévisible ascension : l’œuvre sinon l’interprétation lui a donné raison. Il n’y a pas de mauvaise musique il n’y a que de mauvais musiciens disait Miles Davis. Si emboîter le pas au génial trompettiste témoignerait d’un louable esprit de curiosité s’agissant de l’oratorio de Félicien David, obscur contemporain de Berlioz, le verdict serait excessif à l’endroit de ceux qui s’en sont faits les passeurs. En bref ils ont essuyé les plâtres d’une recréation qui n’avait rien d’une récréation. Saluer l’engagement de la Philharmonie de Sofia, entre autres dans l’héroïque final de la première partie s’impose sans restriction. Par contre on peut être plus mesuré sur l’option du tout passionnel dans la direction d’un Amaury du Closel des plus parcimonieux question nuance. Tout au moins à considérer que ce Sinaï-là peut se gravir autrement qu’au pas de charge. A la décharge du chef, on relèvera l’intimisme du théâtre à l’italienne de Clermont vite saturé par l’enthousiasme des pupitres.
Si l’écriture de Félicien David n’a pas les audaces et les fulgurances de celle de l’auteur de la Symphonie Fantastique, elle n’en exige pas moins une lecture vigilante. Ne nous voilons pas la face : ce Moïse ne se départira jamais de son kitsch que d’aucun qualifieront de pompier. Mais c’est là précisément, dans ce chromo orientaliste, que se situent toutes les séductions et la sincérité de cette fresque biblique : du Cecil B. DeMille mis en musique. Encore faut-il ne pas s’en tenir à la lettre et respecter l’esprit qui recèle plus de richesses et d’inventivité qu’il n’y paraît. Car l’œuvre conjugue avec une séduction déconcertante une fraîcheur chromatique et des fastes harmoniques qui vont bien au-delà du simple pittoresque de façade. C’est une écriture qui se nourrit moins de débordements lyriques qu’elle ne requiert rigueur et précision. Chez ce compositeur, on passe à côté de sa poésie si singulière si l’on ne s’astreint pas à une sévère exactitude du phrasé.
Cette optique orchestrale d’un onirisme incantatoire isolait d’autant le Moïse de Nicolas Merryweather dans son registre de baryton. Il lui manquait la surface vocale nécessaire pour un rôle conçu initialement pour une basse. Malgré la franchise de la projection, l’autorité lui faisait défaut dans le bas de la tessiture. Invoquer « Dieu puissant créateur » sous-tend une part de défi. Un Moïse qui souffrait en outre de la concurrence de Norbert Xerri campant un hébreu volontaire, au phrasé viril et habité. La vaillance de son ténor avait imposé il y a un an à la Maison de la Culture, un Cavaradossi de tout premier plan. Toute aussi brève mais décisive prestation dans le rôle de l’israélite, de la soprano Chenxing Yuan, lauréate avec Merryweather du 23e Concours international de chant de Clermont-Ferrand. Une diction remarquable de mordant et une voix homogène et longue portaient à son comble la tension dramatique de l’exigeante supplique « Pour finir ma souffrance ».
Coup de chapeau au Chœur régional d’Auvergne autre acteur clef de cette page singulière. Il tire remarquablement son épingle du jeu d’une écriture chorale très sollicitante. La carrure rythmique insolite alternant un adagio sur le nom d’« Israël » avec un allegro sur la rime « c’est la voix solennelle » demande une maitrise et une exactitude sans faille.