Combien vaut un contre-ré ? Cent mille livres, prétend monsieur de Corcy chargé par le roi Louis XV de trouver de nouvelles voix pour distraire sa Majesté. A ce tarif, Chapelou, le postillon de Lonjumeau, accepte de déserter sa nuit de noces et de devenir Saint Phar, premier ténor à l’Académie Royale de Musique. Dix ans plus tard, Madeleine, l’épouse abandonnée, devenue une riche héritière, prendra sa revanche sur le mari inconstant. Moralité : la vengeance est un plat qui se mange froid.
Écrit par Adam à l’intention du ténor virtuose Jean-Baptiste Chollet, joué plus de 500 fois en moins de 60 ans, Le Postillon de Lonjumeau n’a pas réussi à franchir son siècle. L’Opéra-Comique lui offre une seconde chance. Le jeu en valait-il la chandelle ?
© Stefan Brion
Oui à condition de disposer d’un chanteur avec 100.000 livres dans le gosier. Simple formalité pour Michael Spyres, rossinien déjà légendaire, technicien et styliste hors pair dont les contres notes spectaculaires font les riches heures de You Tube. Pas de chance : après une première représentation couverte de louanges samedi dernier, le Postillon ce lundi soir est fatigué. La ligne vacille ; les registres se dessoudent ; l’aigu même est inconstant. Rien ne saurait pour autant tempérer la témérité d’un chanteur adepte de l’extrême. A une partition déjà difficile, Michael Spyres ajoute encore des difficultés : des trilles dans son fameux « Qu’il était beau… », des notes impossibles et des variations insensées au 2e acte afin – on le suppose – de pasticher le ténor baroque en de vertigineux sauts d’octave (on pense à l’Antigono de Mazzoni où déjà le ténor américain cherchait à rivaliser avec les castrats). Encore une fois, la science du chant se double de vérité scénique. Vaniteux, cupide, menteur, Chapelou pris à bras le corps par Spyres est tout cela et davantage : il existe. Qu’il retrouve le contrôle de son instrument – au 3e acte – et le public à juste titre l’acclame. Sans ce phénomène vocal, que resterait-il de l’exhumation Salle Favart d’un ouvrage souvent méprisé ?
Une partition délicieuse d’abord, dont on pressent, en l’écoutant, ce qu’elle doit à Rossini (mais l’interprétation de Spyres n’est sans doute pas étrangère à cette impression) et combien elle a dû inspirer Offenbach. Le compositeur des Contes d’Hoffmann, violoncelliste à l’Opéra Comique au milieu des années 1830, tenait peut-être l’archet le soir de sa création. Qui sait ? A la tête d’un Orchestre de l’Opera de Rouen Normandie dont le prélude du 3e acte donne à apprécier la première clarinette (Naoko Yoshimura), Sébastien Rouland se pose en ardent défenseur d’un genre dont, de son propre aveu, les pires ennemis sont nos préjugés.
Quoi d’autre ? Un chœur parfois dispersé et peu de solistes. Franck Leguérinel (Corcy) et Laurent Kubla (Biju) savent être comédiens aussi bien que chanteurs, le premier on ne peut plus à son aise en dindon de la farce, le second réfugié dans une raideur dont on ne sait si elle est volontaire. Peu connue de ce côté de l’Atlantique, le suraigu encore vert et la vocalise perfectible, intelligible et charmante sinon, Florie Valiquette prend peu à peu ses marques jusqu’à la schizophrénie nécessaire pour être à la fois Madeleine et Madame de La Tour.
La mise en scène ne parvient pas à s’abstraire de décors voulus bariolés – un pied de nez au « bon goût petit-bourgeois » –, et des costumes de Christian Lacroix, dignes du grand bal masqué du Château de Versailles. Comme pour Dardanus il y a 4 ans, Michel Fau propose une vision fantasmée du genre représenté. D’un kitch assumé, l’imagination cette fois n’est pas au rendez-vous. Les toiles peintes tombent des cintres. A part ça, pas grand-chose. Lui-même, travesti en Rose – la suivante de Madame de Latour – joue les clowns tristes. A la sortie de la salle, une vénérable douairière glisse à l’oreille de sa compagne : « Je n’ai pas compris à quoi servait cette grande dame en rose ». La vérité ne sort pas seulement de la bouche des enfants.