Pour sa saison Jeune public, l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole s’attaque à forte partie en choisissant de créer un spectacle musical autour du Petit Prince. L’œuvre de Saint-Exupéry appelle chez chacun, enfant comme adulte, un imaginaire si puissant, les aquarelles de l’auteur nous sont si connues, que rares sont les versions scéniques ou cinématographiques qui ne déçoivent pas. Pour corser encore le pari, ce sont les membres du ballet de l’opéra qui interprètent en dansant – mais aussi en chantant – les différents personnages du conte. Force est de constater que le défi est relevé haut la main. L’équipe artistique a l’intelligence d’installer un univers poétique qui relève plus de l’évocation que du pur copier-coller. Ainsi, si le costume du Petit Prince ou encore celui du roi, sont de parfaites mises en volume du dessin original, en revanche, la migration des oiseaux sauvages, la rose ou le serpent font l’objet d’une réinterprétation très réussie. De même le chapeau seau à champagne du buveur, les tours de vélo de l’allumeur de réverbère, le roi en chaussettes-charentaises sous son manteau d’hermine servent parfaitement le propos.
© Luc Bertau
La scénographie trouve elle aussi le délicat point d’équilibre entre la lettre et l’esprit du texte de Saint-Ex : Des rideaux de fil encadrent la scène sur trois côtés. Ils permettent d’une part l’utilisation de lumières latérales – indispensables en danse – mais créent également un jeu de transparence et de mouvement d’une grande séduction. Des gobos y projettent des images, évoquant aisément désert ou nuit étoilée. De gros ballons pendent des cintres avant que les danseurs ne s’en saisissent pour danser, évoquant ainsi le voyage du Petit Prince de planète en planète.
Ces éléments très graphiques, créés par la metteur en scène et scénographe Pénélope Bergeret sont sublimés par les magnifiques lumières de Patrice Willaume. Tout comme le danseur-costumier Valerian Antoine, ces deux artistes appartiennent de longue date à la maison messine. Cette confiance accordée à des talents « maison » – y compris dans une spécialité qui n’est pas leur formation initiale – est assez remarquable pour être soulignée : ainsi, Pénélope Bergeret était membre du Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole ; elle a collaboré avec Paul-Émile Fourny à l’adaptation de l’Auberge du Cheval Blanc fin 2017 avant de signer un Eugène Oneguine l’an passé. Danseuse, elle a pu servir au mieux la chorégraphie classique et limpide de Martin Harriague qui joue sans ostentation des codes de la tradition, de ceux de l’élégance néoclassique – dans ses très raffinés pas de deux en particulier – , sans oublier ceux de la comédie musicale.
Thomas Roediger, quant à lui, est une basse qui interprète régulièrement des seconds plans dans les productions messines. Auteur de plusieurs cycles de mélodies, le Petit Prince est sa première œuvre scénique. Il propose une partition fine, accessible, lisible, tonale, jouant des évocations, qui met en valeur les excellents solistes de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg. Sous la direction pointue, généreuse et tout en contraste d’Aurélien Azan Zielinski – chef régulièrement invité par l’orchestre, qui a longtemps enseigné à Metz et y a dirigé Orphée et Eurydice cet hiver – la vingtaine d’artistes de la phalange luxembourgeoise proposent des soli délicats et des ensembles diaprés aux nuances subtiles. L’instrumentarium choisi permet d’élargir encore la palette des couleurs orchestrales : aux interventions des vents et des cuivres s’ajoutent celles du piano, au clavecin, de la harpe, du métallophone et même de l’orgue de barbarie.
Le seul choix discutable est celui qui confie les parties vocales aux danseurs du corps de ballet. Les interventions sont courtes, servant le propos sans devenir de véritables arie et se révèlent donc compatibles avec ces voix non professionnelles. Un important travail de diction et de justesse a manifestement été mené et, si des voix véritablement lyriques auraient apporté plus de magie à la création, ces timbres sonorisés mais jamais forcés, ont une fragilité et un naturel qui ne manquent pas de charme. Mentions particulières à la séduisante rose de Lisa Lanteri dont le timbre lumineux – à l’image de ses talons vertigineux – a une couleur joliment lyrique et à l’excellent Paul Bougnotteau qui se glisse avec la même prestance barytonnante dans les oripeaux du roi, d’une bouteille – au convaincant falsetto – , de l’allumeur de réverbères ou encore du marchand de pilules.
Seul le Petit Prince de Gabriel Fillatre ne chante pas ; lunaire, décalé, il conserve son mystère en ne s’exprimant que par la danse et se contentant d’être témoin de la folie des hommes sans la commenter. Encore une fort jolie idée attestant de la finesse de lecture et d’adaptation de l’oeuvre.