Deuxième opéra au programme des Prague Summer Nights, manifestation organisée par la société Classical Movements et destinée à promouvoir de jeunes artistes : Le Nozze di Figaro. Le cadre est encore celui de l’église Saint-Simon et Saint Jude et pour les mêmes raisons que la veille, il n’y a pas de décor mais des accessoires – meubles, plantes – utilisés au mieux pour une mise en espace aussi vivante que possible. Même la chaire baroque et la tribune en surplomb servent à l’occasion de postes d’observation à l’intrigante Marcellina ou au fouineur Basilio. Sherril Milnes, dont le disque conserve les interprétations mozartiennes, cosigne ce travail avec son épouse la cantatrice Maria Zouvès, mais il déclare volontiers qu’elle a tout fait. La lecture est des plus classiques, comme les costumes d’époque, dont le programme ne dit rien ni de leur conception ni de leur réalisation. Ont-ils été empruntés à un magasin spécialisé ? Confectionnés pour la tournée ? Mystère, et mystère encore pour le réglage des lumières, qui éclaire la salle pendant que Barbarina cherche l’épingle et semble nettement moins affiné que pour Die Zauberflôte.
Comme la veille, le public plutôt chenu – il y aurait matière à réflexion sur la carence de jeunes en dehors des camarades des chanteurs pour soutenir de jeunes artistes – applaudit les participants, on suppose avec conviction même s’il n’est pas aisé de le percevoir car certains des dits camarades sont prodigues d’approbations bruyantes et se comportent en « chauffeurs » de salle, empêchant d’apprécier clairement le degré exact de l’adhésion. Quant à nous, à décerner à nouveau encouragements et félicitations, les premiers seraient ce soir la manière douce de ne pas froisser l’amour-propre de jeunes gens qui semblent se donner avec conviction. Soit à cause du trac, soit parce qu’employés hors de leur zone la meilleure, on se prend à douter que la voix de certains soit de celles qui permettent de faire carrière. Reste leur engagement qui constitue moins un mérite que le minimum de base. D’autres, en revanche, semblent réunir les cartes nécessaires, entre matériau vocal et aplomb scénique. On apprécie ainsi la pâte et la projection du comte de Taeeun Moon, la souplesse et l’émotion de la comtesse de Laura Basse, qui gagnerait à travailler messe di voce et trille, l’homogénéité de la Susanna d’Ahyoung Jeong, à son meilleur quand le rythme n’est pas trop vif car alors les aigus perdent en moelleux, l’expressivité du Cherubino d’Hannah Fraser, dont le vers « Non so più cosa son, cosa faccio » est curieusement étouffé, même dans la reprise. John Holland est Figaro : la voix est ferme et assez étendue, mais est-ce un effet d’une corpulence forte, que la mise en scène s’ingénie à soulager, son monologue du dernier acte semble dépourvu du tonus qui en fait un morceau de bravoure. Quant à la Barbarina de Theresa Egan, le chant est irréprochable mais la voix tire le personnage vers une féminité franche. Méphisto trouverait cette gamine « un peu mûre ».
Les mêmes étudiants composent l’orchestre, et ils y mettent comme la veille tout leur cœur. C’est John Nardolillo qui les dirige. Pourquoi donc, même lieu, même position de l’auditeur qui rend compte, le rendu sonore est-il si différent ? Sans doute parce que l’écriture de Die Zauberflöte et celle des Nozze di Figaro est très différente, la théâtralité de cette œuvre imposant un rythme et des interactions beaucoup plus « serrés » au cours de cette « folle journée ». En tout cas dans les scènes d’ensemble, entre la complexité du maillage des voix et de leur situation dans l’espace, et un volume orchestral qui tend au trop fort, la clarté de l’acoustique appréciée la veille a disparu et c’est alors une confusion sonore peu agréable. Heureusement on perçoit la présence discrète mais spirituelle du continuo tenu par Marcello Cormio, qui égrène « la ci darem la mano » quand Marcellina évoque son union avec Figaro. Une deuxième distribution était proposée le lendemain, que nous n’avons pas entendue. La production, après Prague, devrait passer par Salzbourg et Tabor. Une expérience inoubliable pour tous ces jeunes gens, sans lendemain pour certains, fondatrice pour d’autres, en tout cas génératrice d’un enthousiasme auquel on souhaite de durer longtemps.