L’amateur d’opéra qui se rend à la représentation d’un classique du répertoire en attend des plaisirs très divers, voire contradictoires. Il peut espérer être bousculé dans sa lecture de l’oeuvre, par une mise en scène actualisée, par une lecture audacieuse. A l’inverse il peut éprouver un indicible plaisir à profiter d’une version traditionnelle, en costume d’époque, sublimée par le savoir-faire de remarquables artisans de la scène. C’est le cas à Liège pour ces Nozze di Figaro de grande classe où Emilio Sagi s’est entouré d’une équipe de familiers pour composer une version enlevée, d’une folle prestance. Les costumes espagnols de Gabriela Salaverri sont époustouflants de précision historique ; ils font montre d’une approche raffinée des couleurs et des matières, tout comme le palais crée par Daniel Bianco, qui offre aux protagonistes de cette folle journée un écrin suprêmement élégant. Exit les références révolutionnaires, l’action est ici replacée dans le cadre exotique d’une Espagne de rêve. On pourrait chipoter en arguant qu’implanter la chambre des domestiques devant une immense baie vitrée n’est pas totalement crédible, de même qu’un jardinier n’entrerait jamais dans la chambre de la chatelaine avec tant de familiarité. Qu’importe, ces deux lits qui se répondent d’un acte à l’autre disent bien l’enjeu éminement concret de la pièce : obtenir les faveurs de Suzanne.
Leon Košavić et Jodie Devos © Opéra Royal de Liège Wallonie
De chambre en chambre, avant d’investir le jardin, le metteur en scène utilise néanmoins les choeurs pour animer la vie du château, et les tableaux de genre se succèdent pour le plus grand plaisir de l’oeil dans une chorégraphie réglée au cordeau. Car Emilio Sagi est un excellent directeur d’acteur, précis, servi par un plateau scénique formidable, avec en premier lieu, le couple des valets incarné par Jodie Devos et Leon Košavić. Les habitués de l’Opéra Comique connaissent la soprano qui a fait partie de l’Académie de l’Opéra-Comique et qui s’y est illustrée récemment dans le Comte Ory après des débuts remarqués à l’Opéra de Paris en Yniold dans Pelléas et Mélisande. Dans le rôle de Suzanne, la fraicheur de son timbre – percussif à souhait – fait merveille. Le « Deh Vieni », particulièrement orné, est un petit bijou d’émotion. Le tout jeune baryton croate qui lui donne la réplique est quant à lui, exceptionnel. Leon Kosavic n’a pas 30 ans mais peut s’enorgueillir de graves profonds, d’aigus bien campés, d’une projection puissante et d’un timbre rond et chaud. A ces qualités vocales, les deux protagonistes ajoutent de beaux naturels de comédiens ; on croit volontiers à ce joli couple et on est touché par leur quête obstinée du bonheur. Leurs airs sont d’ailleurs applaudis tout comme ceux de la Comtesse. En effet, touchante, Judith Van Wanroij l’est également. Le métal ductile et lumineux de sa voix, la pureté de la ligne vocale font merveille face à Mario Cassi, habitué de la scène liègeoise, qui incarne un Comte de très bonne tenue. On aurait peut-être souhaité des graves plus charpentés et une posture scénique moins agitée dans « Hai gia vinta la causa ». Le Chérubin de Raffaella Milanesi propose enfin une palette contrastée et juvénile ainsi qu’un travail raffiné des nuances, en particulier dans son « Voi che Sapete ».
Les seconds rôles ne sont pas en reste : si la Marcelline d’Alexise Yerna accroche l’oreille d’une voix assez pointue – mais qui correspond après tout à l’aigreur de la duègne qu’elle interprète – , le Basile d’Enrico Casari bénéficie, lui, d’une belle unité des registres. Julie Mossay campe une délicieuse Barberine, Julien Véronèse et Patrick Delcour complètent avantageusement la distribution tandis que dans la fosse, Christophe Rousset dirige avec la fougue qu’on lui connait l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. Les tempi sont enlevés sans être précipités et accompagnent ainsi au mieux l’action vibrionnante voulue par le compositeur. On pourra cependant regretter que l’orchestre soit parfois un peu puissant pour certaines voix. Pourtant l’écoute entre la fosse et le plateau est belle, les ensembles déliceusement ciselés et la maestria du chef particulièrement perceptible dans les récitatifs, qu’il accompagne depuis le pianoforte. L’instrument épouse chaque inflexion, chaque émotion des personnages et plutôt qu’un passage obligé entre deux airs, le récitatif, très naturel, devient un temps fort de la soirée.