S’il est pour nous l’Almaviva de la création du Barbier de Séville, l’auteur d’un traité sur l’art du chant et le père de Maria épouse Malibran et de Pauline épouse Viardot, Manuel del Populo Vicente Garcia était aussi pour ses contemporains un compositeur d’opéras, dont le plus célèbre parvenu jusqu’à nous est Le Calife de Bagdad. En 1831, à l’intention de ses élèves, il écrit un opéra de salon, dont le titre traduit de l’italien serait en français Les Chinoises. Emprunté à Métastase le thème des relations compliquées jusqu’à l’incompréhension entre masculin et féminin est ravivé par quelques touches d’exotisme, en écho probable aux Lettres Persanes, ici discrètement introduites dans la musique, dont il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’une reconstitution. La réunion de trois amies dans l’intimité et la quiétude de l’appartement réservé aux femmes est troublée par l’arrivée en forme d’irruption du frère de l’une d’elles. Il est néanmoins accueilli avec joie car il revient d’un voyage en Europe. Il en a rapporté des idées nouvelles et à l’occasion d’un jeu de société où les jeunes filles devront tour à tour exposer leur conception du bonheur il les accable de sarcasmes. Leur irritation ira croissant jusqu’à ce qu’elles le chassent avec pertes et fracas.
Créée d’abord à Barcelone au Théâtre Sarria dont Raul Gimenez s’est fait le paladin, l’œuvre a été reconstituée d’après des documents de la Bibliothèque nationale par les professeurs James et Teresa Radomski. Elle est précédée ici d’un prélude au piano dont les variations ont été écrites et sont exécutées par Michele D’Elia avec un brio transcendental. Puis le piano, qui occupait le centre de la scène, se retire partiellement en coulisse et l’on peut avoir l’illusion que, dissimulé au public, Manuel Garcia en personne anime la séance pour ses élèves. Signataire de la régie, des décors et des costumes Jochen Schönleber a eu la main aussi légère que le sujet le demandait. Des chaises longues, une estrade où prendre le soleil ou défiler, quelques accessoires orientalisants pour le clin d’œil, une table où prendre le thé, évidemment, de la sensualité douce de l’intimité des femmes entre elles, dans une ambiance de hammam – à Bad Wildbad, cela ne s’imposait-il pas ? – à la décontraction de vêtements qui disent bien leur présence au monde, leur malice et leur sensibilité, il fait un tableau vivant d’un charme immédiat. Même, il a l’idée de placer les cadeaux du voyageur dans des sacs griffés de noms célèbres de la mode : cela lui permet, quand les sacs sont enfin ouverts, après le temps de décence imposé par le savoir-vivre, un coup de théâtre qui déclenche le rire en guise de conclusion. Composée pour des élèves, la partition n’exige pas des chanteurs de prouesse insurmontable mais des voix assez étendues, bien préparées, capables de finesses et d’habiletés techniques. Trois des participants, le ténor Cesar Arrieta et les mezzos Silvia Aurea De Stefano et Ana Victoria Pitts, satisfont à ces prérequis et parviennent à donner vie à ces esquisses de personnages qui grâce à eux acquièrent un relief suffisant pour se différencier. La quatrième, la soprano Sara Bañeras, est une liane flexible digne d’un magazine de mode, mais le ramage est parsemé d’éclats d’une verdeur nettement moins séduisante. C’est le seul regret que l’on éprouve en sortant avec le sourire, tandis que l’on se dit que quand les Chinoises s’éveilleront…