Quelle déception, le 19 novembre 2010 à 20h, quand le directeur du Festspielhaus de Baden-Baden était arrivé sur scène à la place de Juan Diego Flórez, attendu dans un programme très alléchant autour de son album Bel Canto Spectacular, pour annoncer au public que le chanteur péruvien, souffrant, avait finalement décidé d’obéir aux injonctions des médecins. Au-delà de la frustration, on s’était dit que celui qui respecte sa voix et renonce à chanter quand il est malade fait évidemment le bon choix. Un an plus tard, le ténor est de retour, en grande forme. Il paraît que l’attente décuple le plaisir ; admettons ce qui est difficile à entendre pour tous les impatients. Et devant tant de générosité et de séduction, comment résister ? Physique de rêve, sourire enchanteur, notre fringuant jeune homme porte merveilleusement la queue de pie et le nœud papillon blanc qui annoncent le grand soir : « Ah mes amis, quel jour de fête ! »… La Fille du régiment n’est cependant pas inscrite au programme, au profit d’œuvres plutôt rares et inattendues, toutes liées aux plaisirs ou tourments amoureux. Les a priori tombent rapidement : réputation de petitesse voire étroitesse de la voix, nasillard insupportable au disque, rien de tout cela ne se dégage de la scène. Non seulement la voix passe la rampe, mais elle se développe et gagne en puissance au fil de la soirée où les effets vont crescendo. Très maîtrisé, le caractère nasal du timbre s’efface au profit de notes rondes tout en harmonie. Dès les premiers airs choisis dans le répertoire du xviiie siècle, la délicatesse et le moelleux s’affirment. Le bel canto est ici bien moins baroque que romantique. N’en déplaise aux puristes, le résultat est convaincant Quant à l’accompagnement au piano de Vincenzo Scalera, il est en totale adéquation et en vraie complicité avec la tessiture du ténor, délicatement en retrait mais toujours idéalement présent, contrepoint fascinant. L’entente est parfaite. Et l’on se souvient que Scalera a également accompagné par le passé des Bergonzi, Caballé, Carreras, Scotto ou Vaduva. Tour à tour mutin, vif, noble et délicat, le jeu du pianiste en impose et séduit. Juan Diego Flórez propose, dans son programme ambitieux, plusieurs airs en français, dont un extrait du Roland de Piccini qui annonce déjà Bellini. Si la manière dont d’aucuns écorchent la langue de Molière peut laisser poindre quelques inquiétudes, elles sont ici immédiatement évanouies. La prononciation, non seulement, est bonne, mais on peut parler de diction parfaite, avec une infinitésimale pointe d’accent qu’il faut vraiment vouloir aller dénicher pour le plaisir d’avoir un brin de fantaisie exotique. On pense à My Fair Lady où l’un des protagonistes se dit que la dame parle si bien la langue qu’elle est forcément une aristocrate étrangère. Il y a de même beaucoup de noblesse dans le chant de Juan Diego Flórez. La technique est sûre, l’agilité déconcertante de naturel et d’apparente aisance. S’il fait preuve d’une retenue tout en délicatesse dans les airs intimistes de Rossini, les vocalises qu’il produit par ailleurs sont éblouissantes de virtuosité, évidentes et limpides. On atteint des moments de délirante vélocité, l’air de ne pas y toucher, et notre Roméo nous fait lever et paraître le soleil dans « L’amour » de Gounod. Bluffé et repu, le public ovationne un chanteur visiblement heureux. Se délectant de son succès, la main sur le cœur, il ne manque pas de faire un petit clin d’œil au public allemand quand, lorsque Pâris au mont Ida raconte : « dans ce bois passe un jeune homme frais et beau », il ponctue la déclaration d’un comique : « Ich bin’s ! » (C’est moi !). Le profil à la grecque se présente au spectateur, mais le chant n’est pas celui d’un bellâtre désincarné, loin de là : tout le récital offre une diversité de palettes expressives qui prouvent les qualités de comédien autant que du chanteur. Notre ténor avait commencé par chanter dans les piano-bars et son père se produisait également dans le répertoire péruvien . En hommage à ses origines et son passé, la dernière partie du récital est consacrée à des airs plus légers, y compris de la zarzuela. Et c’est à ce moment-là qu’arrive le trou de mémoire. Un sourire ravageur et élégant lui garantit le pardon immédiat de son auditoire, définitivement conquis. Arrive la fin du programme et des rappels très attendus. On commence par le brillant, voire vertigineux : « Cessa di più resistere » du Barbiere. Debout pour acclamer cet amant qui offre près de deux heures de jouissance, le public est gratifié d’un « Pour mon âme » – on l’aura eu quand même, notre Fille du régiment !– où les fameux contre-uts sont distribués comme les fusées d’un finale de feu d’artifice avec une déconcertante facilité. On rend les armes après un ultime cadeau qui clôt la soirée, un « Granada » de luxe. |
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Baden Baden — Baden-Baden
- Œuvre
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- Compositeur
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- Artistes
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Infos sur l’œuvre
Détails
Juan Diego Flórez
Giovanni Battista Bononcini
« Per la Gloria d’adorarvi »
Griselda
Vincenzo Legrenzio Ciampi
« Tre giorni son che Nina »
I tre cicisbei ridicoli
Niccolò Piccinni
« En butte aux fureurs de l’orage »
Roland
Gioacchino Rossini
« L’esule »
Péchés de viellesse
« La promessa »
Soirées musicales
« Tirana alla Spagnola »
Péchés de viellesse
Giacomo Meyerbeer
« Popoli dell Egitto »
Il crociato in Egitto
Charles Gounod
« L’amour »
Roméo et Juliette
Édouard Lalo
« Vainemant ma bien-aimée »
Le Roi D’Ys
Jacques Offenbach
« Au mont Ida »
La Belle Hélène
José Padilla
Princesita
José María LaCalle
Amapola
Reveriano Soutullo y Juan Vert
« Bella enamorada » de la Zarzuela
El último romántico
Gaetano Donizetti
« Allegro io son »
Rita
Juan Diego Flórez
ténor
Vincenzo Scalera
piano
Festspielhaus, Baden-Baden, jeudi 24 novembre 2011, 20h
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