Le titre de ce compte rendu fait le choix de mettre en avant la satisfaction principale de cette nouvelle mise en scène de « L’Affaire Makropoulos » à la Deutsche Oper. Elle est signée par David Hermann, dirigée par le directeur musical Donald Runnicles et voit la soprano allemande Evelyn Herlitzius faire sa prise de rôle en Emilia Marty.
Satisfaction car le dispositif conçu par l’équipe dramaturgique, sans être particulièrement original, colle parfaitement au livret et aux méandres de cette histoire qui dure depuis 337 ans. D’ailleurs, comment se comporte-t-on quand on est âgé de plus de trois siècles ? David Hermann voit Elina, le nom a toute son importance, hantée par sa vie passée et notamment le seul amour de sa vie, celui qu’elle a eu pour Joseph Prus voilà cent ans et dont le fils illégitime est au cœur de la bataille judiciaire qui donne son titre à l’opéra. Aussi, la scène se partage-t-elle en deux. A jardin, la maison du passé où des acteurs font revivre les scènes de la vie conjugale des amants et jouer le petit Ferdi. Emilia, à cour, n’écoute pas le docteur Kolenatý narrer des faits qu’elle connaît par cœur. Elle est la seule à voir cette pantomime surgie de sa mémoire. Toutes les scènes avec Maxi, son amant espagnol, seront peu ou prou traitées de la même manière : elle fantasme ces retrouvailles. Maxi, déguisé en bouffon, lui sert de deus ex machina psychique pour échapper à la médiocrité ou aux avances que ces hommes avides d’argent et de luxure lui proposent. Coiffées de perruques rousses aux modes différentes, des figurantes donnent littéralement corps à toutes les identités d’emprunt d’Elina. Au cours d’un troisième acte assez surréaliste, ce sont donc six Emilia, Ekaterina, Elina, Eugenia, etc. qui se dépouillent progressivement de leur substance, chacun des autres personnages n’en voyant qu’une seule. Si cette mise en scène est immédiatement lisible, grâce aussi aux projections vidéo qui brouillent les murs de la maison, elle esquisse également d’autres pistes, notamment celle du théâtre et de ses jeux de double au deuxième acte. Après tout Emilia est aussi la plus grande chanteuse d’opéra que le monde connaîtra jamais.
© Bernd Uhlig
Un autre titre pour ce compte rendu aurait pu être : le cas Herlitzius. Mais il n’aurait plus été question de louanges. Certes le public français a été stupéfié à Aix-en-Provence par la soprano dans la production d’Elektra de Patrice Chéreau. Pourtant déjà à Zurich cet été l’état de la voix suscitait des craintes, inquiétudes que l’Isolde de Bayreuth avait confirmées. Ce soir encore son interprétation d’Elina pose de sérieux problèmes : trous dans la ligne vocale, notes non tenues, stridences et raucités qui n’ont rien d’interprétatives… Seul le sprechgesang tient heureusement la route, même si la prononciation tchèque n’est pas particulièrement ciselée. Oui, l’actrice est toujours aussi fascinante en scène, mais sa voix abîmée la rend de plus en plus fantomatique. Le reste de la distribution est bien prosaïque, entre un Albert Gregor (Ladislav Elgr) qui se bat avec sa ligne vocale et des difficultés dans l’aigu, une Krista (Jana Kurucova) assez transparente, et un Hauk-Šendorf/Maxi (Robert Gambill) trop scolaire pour émouvoir. Dommage que le court rôle de Janek ne laisse guère le temps à Gideon Poppe de faire ses preuves. Les clés de fa relèvent le niveau d’ensemble : Derek Wilson possède toute la noblesse et le timbre pour incarner le baron Jaroslav Prus, et Seth Carico l’agilité pour rendre justice aux interventions de Kolenatý. En conséquence, les duos entre Emila et Albert puis Prus ne prendront jamais ni l’ampleur ni le lyrisme qu’ils devraient.
La faute aussi à un Orchestre de la Deutsche Oper encore mal rodé, où les cuivres étouffent les cordes pendant toute la première partie du spectacle. Au retour de l’entracte, Donald Runnicles parvient enfin à canaliser et équilibrer l’ensemble. Il mène toute la dernière scène avec une tension croissante et sauve in extremis une soirée mal engagée sur le plan musical.