Après Rouen et avant le Théâtre des Champs-Élysées, Tours accueille la version de La Vie parisienne établie par Sébastien Troester et l’équipe scientifique du Palazzetto Bru Zane. Cette tentative de retour à l’originel ne prétend pas se poser en référence. La multiplicité des sources utilisées le lui interdit, et l’œuvre telle que restaurée ne fut jamais créé sous cette forme.
Dramatiquement, la réinsertion de l’acte IV, supprimé lors des répétitions, ne représente pas le remède absolu aux faiblesses du livret. Avec ou sans, la pièce reste bancale et l’intrigue encore plus invraisemblable.
Musicalement, on gagne quelques numéros dont on se demande pourquoi ils ont été coupés tant ils sont savoureux – le trio militaire au 3e acte, par exemple*. Mais on en perd d’autres dont l’absence se fait cruellement sentir car d’une part ils figurent parmi les meilleures pages composées par Offenbach, s’en dispenser est regrettable ; d’autre part leur suppression rend secondaires des rôles auparavant principaux – Metella pour ne pas la citer. A défaut, certains de ces numéros sont évoqués dans les interludes qui occupent les changements de décor – voire, lors de cette représentation dominicale, offerts brièvement en bis (« tout tourne, tout danse »). Bref, le plaisir de la découverte ne pallie pas tout à fait le sentiment inévitable de frustration lorsque l’on a chevillée en tête la version jusqu’alors usuelle. Il est fort à parier que les prochaines productions de La Vie parisienne opteront pour un compromis entre les deux partitions, comme l’usage prévaut aujourd’hui pour les deux versions d’Orphée aux Enfers. Oui, voilà sans doute la solution la plus satisfaisante.
Ces considérations mises part, la bonne humeur est garantie, comme toujours en compagnie d’Offenbach. Allongée d’un acte, la pièce semble encore trop courte. Antoine Brunetto dans son compte rendu de la première à Rouen a décrit en détail la mise en scène de Christian Lacroix. Il n’y a pas l’ombre d’une virgule à retrancher de son propos, simplement rappeler combien l’approche scénique évite l’écueil de la vulgarité, fréquent dans ce répertoire, et le piège de la transposition qui auraient engendré « des images de précarité, de trottinettes abandonnées, de pigeons malades, de poubelles et de travaux incessants ». Oui, voilà la vie parisienne aujourd’hui, telle que le metteur en scène la décrit dans sa note d’intention, sans heureusement s’en inspirer, et telle que le mot-clé #saccageparis la résume sur les réseaux sociaux.
© Marie Pétry
La distribution tourangelle est sensiblement différente de la rouennaise. Équilibrée, elle offre moins d’interprètes saillants – c’est là son moindre défaut. La création de l’œuvre au Théâtre du Palais-Royal en 1866 fut assurée par des artistes acteurs avant d’être chanteurs. Si de grandes voix ne sont pas forcément nécessaires, de fortes personnalités demeurent impératives pour donner chair à de multiples rôles qui n’ont souvent qu’un numéro pour s’imposer. La jeunesse des artistes réunis à Tours, bien que riche de promesses, s’avère souvent synonyme de timidité. Mais le Baron de Marc Labonnette, une fois passé un « Je veux m’en fourrer jusque-là » précautionneux, réussit à incarner ce personnage ridicule et attachant dont on guette les interventions frétillantes. Offenbachienne patentée depuis son album Colorature, Jodie Devos croque Gabrielle avec une articulation irréprochable, des aigus imparables et finalement un plaisir contagieux. Eléonore Pancrazi possède un chic scénique qui n’a d’égal que la manière dont elle cisèle en grande cocotte, les deux seuls airs que lui concède la nouvelle version de l’œuvre. Et la Comtesse de Quimper-Keradec vitriolée par Ingrid Perruche devient une de ces mères duègnes indispensable au théâtre comique.
Avec des tempi trop rapides, source de quelques décalages, Romain Thomas pêcherait aussi par excès de jeunesse si le chœur et l’orchestre, en formation réduite, ne se cramponnaient à la partition pour avaliser ce qui s’apparente in fine à une cure de jouvence. Bon à savoir : cette Vie parisienne sera retransmise sur Arte au moment des fêtes de fin d’année, le dimanche 2 janvier à 17h.