Pour bien profiter de ce spectacle jubilatoire, il faut avoir bien intégré qu’il s’agit d’une adaptation et laisser au vestiaire toutes ses références aux productions passées – et elles sont nombreuses ! Déjà en ce qui concerne l’époque, puisque nous sommes en 1966, sur le tournage en direct pour la télévision de l’émission de variétés « Vie parisienne », retransmise sous nos yeux sur le petit écran. Olivier Desbordes a visiblement pris plus de plaisir à transposer ses souvenirs de l’époque où, étudiant, il faisait de la figuration dans les émissions de variétés filmées au studio des Buttes Chaumont, qu’à raconter l’histoire telle qu’elle a été conçue par les librettistes d’Offenbach. Celui-ci semble néanmoins apprécier le résultat, puisque Jacques Offenbach lui-même aurait prononcé cette phrase historique : « C’est l’une des productions les plus rock’n roll que j’ai vues » (sic).
De fait, l’adaptation musicale est un peu déconcertante au début, surtout dans l’ambiance des quais de gare des Vacances de Monsieur Hulot, où l’on n’entend plus grand-chose et où l’on a du mal à percevoir les lignes musicales. Mais l’oreille se fait peu à peu à ce parti pris parfois tonitruant, et au bout d’un moment, tout s’arrange, et même les voix sonorisées se font moins gênantes. Quant au petit groupe d’excellents musiciens qui occupe le fond de scène (clavier, violon, guitare, trompette, clarinette/saxophone, trombone et batterie) mené par Gaspart Brécourt, il renouvelle l’expérience musicale que Jérôme Savary avait déjà proposée avec sa Périchole.
Il y a aussi dans cette production un indéniable côté nostalgique, avec les mires ORTF, le passage du noir et blanc à la couleur, et pendant l’entracte le petit train Interlude et les publicités que l’on pouvait voir au cinéma à l’époque. Tout cela parle directement aux spectateurs de 50 à 80 ans, alors que ce temps est déjà aussi éloigné pour la jeune génération que celui d’Offenbach…
© Photo Nelly Blaya
Mais c’est surtout du côté construction dramaturgique que la réussite est totale, tant l’esprit de l’œuvre originale est respecté. Tout y est, le rythme, l’impertinence, la drôlerie – car plus d’une fois on pleure de rire de voir les incontournables de cette époque remis en situation là où on ne les attendait pas. Ce délire parodique culmine surtout au deuxième acte avec l’arrivée du major de la table d’hôte, ici Rabbi Jacob en personne, joué, chanté et dansé d’une manière inénarrable par Lionel Muzin devant le baron (excellent Christophe Lacassagne) médusé. Tout s’accélère au troisième acte mené par une Mireille Mathieu délirante (Lucile Verbizier), où toutes les vedettes de l’époque arrivent sur le plateau, le maréchal des logis Cruchot de Saint Tropez, le prince Cloclo d’Alexandrie, Sheila, Nana Mouskouri, Sylvie Vartan, qui remplacent avec brio l’habituel – et un peu ennuyeux – défilé des « femmes du monde ». L’habit qui a craqué dans le dos est celui du sergent Garcia zébré du Z de Zorro, un autre des incontournables de la télévision de l’époque. Quant au fameux « Tout tourne, tourne, tourne, tout danse, danse, danse », transposé façon Claude François (extraordinaire Thierry Jennaud), il vaut son pesant de claudettes. Au dernier acte, Spirou, les Frères Jacques et les Demoiselles de Rochefort participent à leur tour à ce jeu d’enfer.
Au milieu de cet extraordinaire déploiement des variétés des 30 Glorieuses gentiment brocardées, les personnages d’Offenbach gardent néanmoins une indéniable présence, et réussissent à mener le jeu. L’option gagnante est d’avoir privilégié des acteurs-chanteurs, comme Offenbach l’avait lui-même prévu. D’abord Bobinet et Gardefeu, très joliment joués et chantés par Steeve Brudey et Hoël Troadec. Et puis, du côté des dames, la voix et l’interprétation délicieuse de Morgane Bertrand (Gabrielle la gantière), la baronne très traditionnelle d’Anandha Seethanen, et la Metella de Diana Higbee, qui chante à ravir son air d’entrée et celui de la lettre.
Vérifiez les prochains passages de la tournée et courrez voir ce spectacle qui n’engendre certes pas la mélancolie, c’est le moins que l’on puisse dire à constater les réactions enthousiastes des spectateurs tous âges confondus. !
Prochaines représentations à Épinal, Draguignan, Fréjus, cet été au Festival de Saint-Céré, et à Paris au théâtre Déjazet du 29 novembre 2019 au 11 janvier 2020 pour une série de 40 représentations.