Une histoire d’amour de jeunesse, contrariée, explicite La Veuve joyeuse. Missia Palmieri et le comte Danilo se sont aimés, mais elle a épousé un milliardaire, qui l’a laissée veuve. Sa fortune est vitale à leur pays microscopique, et les prétendants s’alignent. Le Baron Popoff, assisté de Figg, son dévoué interprète, vont tout mettre en œuvre pour que la Marsovie ne connaisse pas la ruine. Ajoutez des quiproquos, une substitution, quelques maris trompés, de belles chorégraphies, le tout servi par un texte savoureux et une musique leste sur laquelle règnent la valse viennoise, les galops, polkas, mazurkas et même un cake-walk, vous avez les clés du succès planétaire de cette opérette. Le sinistre COVID en avait interdit la nouvelle production de l’Opéra de Saint-Etienne, programmée pour la saison 2020-2021. Les temps ont heureusement changé, qui nous valent cette réalisation, en harmonie avec les réjouissances de fin d’année. La distribution a été intégralement maintenue.
C’est la version française qui a été retenue, dont la qualité et l’efficacité dramatique ont été éprouvées depuis plus d’un siècle. Jean-Louis Pichon, dont on se souvient des réalisations, mais aussi des attaches stéphanoises, signe la mise en scène, réalisée par Jean-Christophe Mast, le premier, souffrant, n’ayant pas eu la disponibilité pour ce faire. Jérôme Bourdin a conçu un cadre unique, élégant et aux lignes épurées, intégralement bleu bleuet, sur deux niveaux, avec rampes d’accès latérales et escalier central, ce qui ménage un bel espace intérieur. Outre le compromettant éventail-messager qui circulera tout au long de l’ouvrage, quelques chaises, des poufs, tous bleus, un petit pavillon-volière, un imposant miroir où les flèches dessinent un cœur, un lustre monumental suffiront à nous inviter à l’ambassade de Marsovie, puis au grand bal organisé par Missia, enfin chez Maxims, servis par de judicieux éclairages de Michel Theuil. Les somptueux costumes apportent leur note de couleur à l’ensemble, comme les chorégraphies de Laurence Fanon, qui concernent non seulement une dizaine de remarquables danseurs, mais aussi tous les artistes du chœur comme les solistes. La direction d’acteurs, essentielle, fonctionne, même si la présence et l’aisance ne sont pas également partagées par chacun.
La Veuve joyeuse © Hubert Genouilhac
En dehors de l’ajout, aussi surpenant que bienvenu, de l’évocation des amours juvéniles de Danilo et Missia (… « Heure exquise » à l’orchestre), avant le galop d’ouverture, nulle transposition ni relecture, encore moins actualisation (comme à Nice, il y a un an, une « Veuve » toute neuve), l’ouvrage est servi avec fidélité et finesse. Il en résulte une fraîcheur, une lisibilité et une vie inaccoutumées. Les principaux protagonistes vivent, les caractères sont bien dessinés, rendant crédibles une intrigue qui ne l’est guère.
On a trop souvent coutume de réduire l’action à celle des couples (Missia-Danilo et Nadia-Coutançon). Ce soir, le baron Popoff, que campe Olivier Grand, et Figg (Jacques Lemaire) sont les maîtres du jeu, des bouffes comme on les aime. Le premier, totalement dévoué à sa principauté et sincèrement amoureux de sa femme, est d’une vérité criante. Baryton sonore, aux graves solides, mais aussi comédien hors pair, le premier s’impose comme personnage central, attachant, loin du clown grotesque – le cocu magnifique et ridicule – que l’on croise les plus souvent. On se prend à regretter que Lehár n’ait pas confié davantage de passages chantés à Figg, le traducteur, car notre ténor bouffe, lui aussi, crève l’écran par la vérité de sa composition. L’excellence en matière d’opérette.
Aussi familière de ce genre que de l’opéra, Olivia Doray nous vaut une Missia Palmieri subtile, dont l’évolution psychologique est traduite avec justesse. Les moyens sont là et le chant comme le jeu n’appellent que des éloges. La chanson de Vilya, les duos et ensembles sont conduits avec art. La voix, bien timbrée, souple, aux aigus clairs, se marie à celle de Danilo, bien sûr, mais aussi à celle de tous ses partenaires. Nadia, l’épouse du baron Popoff, que courtise Camille de Coutançon, est incarnée par Chloé Chaume. L’émission a cette vivacité, cette légèreté toute en nuances, sans une once de vulgarité de soubrette et ce, dès son premier duo avec Camille. Le second (« Viens dans ce joli pavillon »), dans toutes les oreilles, est un bijou, justement salué par le public.
Jean-Christophe Lanièce est Danilo, beau baryton martin, dont l’air d’entrée « Pardonne-moi, chère patrie », prometteur, sera suivi de magnifiques duos, l’ultime (« Heure exquise ») atteignant la perfection. Comme son partenaire et rival Camille (le ténor Camille Tresmontant), la progression vocale sera éclatante, jusqu’à la plénitude finale. Aucun des petits rôles ne démérite, qu’ils soient chantés ou simplement joués. Les grands ensembles, en dehors des finales de chaque acte, sont les septuors, masculin (« Je proclame que les femmes », au II) puis féminin (« Nous sommes les p’tites femmes frivoles », au III). Autant de moments de belle musique où l’opérette se hisse au meilleur niveau.
La danse sous-tend l’ensemble de la musique et du rythme de l’opérette, et le corps de ballet s’y montre exemplaire d’élégance et de charme, de vivacité, mais aussi d’acrobaties spectaculaires qui accompagnent le can-can. Un régal.
Laurent Touche, d’autant plus attentif au chant qu’il se partage habituellement entre la direction des chœurs et celle de l’orchestre, nous vaut une élégance, une émotion renouvelées, sachant obtenir de ses instrumentistes des couleurs et des équilibres admirables. Les solos des cordes, des bois, l’introduction de l’ultime « Heure exquise », confiée aux seules cordes, par exemple, sont des moments de bonheur. La dynamique, la précision, l’attention à chacun sont indéniables. Le chœur n’appelle que des éloges, équilibré, intelligible, d’une aisance scénique permanente. Une production pétillante, légère, euphorisante, raffinée, qui mérite la plus large diffusion.