Au contraire de certains grands titres du répertoire –Il barbiere di Siviglia, La traviata, Carmen… –, La Vestale fut acclamée dès sa création. Parmi les raisons de son succès, la dimension visuelle du spectacle – on ne parlait pas encore de mise en scène – annonciatrice des débauches décoratives du grand opéra français.
La version de concert proposée en fin de saison au Théâtre des Champs-Élysées gomme inévitablement cette caractéristique pourtant essentielle à l’appréhension du chef d’œuvre de Spontini, notamment à travers l’écriture monumentale des différents finales. A défaut, la direction de Christophe Rousset engendre les images refusées par l’absence de dispositif scénique, à la manière d’une lanterne magique qui projetterait sur l’écran sonore la fresque mise en musique par le compositeur, alors placé sous la protection de l’Impératrice Joséphine. Le marbre ainsi fendu, la partition s’extirpe de sa gangue néoclassique pour s’animer d’une vigueur romantique que des enregistrements plus ou moins récents ne laissaient pas soupçonner. Cette histoire un rien simplette d’une vestale condamnée à mort pour avoir par amour oublié de veiller sur le feu sacré et sauvée in extremis par un coup de foudre opportun s’écoute sans que l’on trouve un seul instant le temps long.
Plus que Les Talens lyriques quelquefois débordés par une orchestration jugée à l’époque bruyante, le Vlaams RadioKoor, préparé par Thomas Tacquet (présent aux saluts mais curieusement absent du programme) est un des facteurs de la vitalité qui irrigue le drame expurgé pour la circonstance de ses divertissements dansés. L’individualité des différents pupitres ne trahit jamais la cohésion d’ensemble. Les nombreuses interventions chorales ouvrent des perspectives fructueuses sur Moise et Pharaon de Rossini, dont le livret fut également écrit par Etienne de Jouy, et au-delà Nabucco.
© Gil LeFauconnier
Que la « Dream Team » réunie pour l’occasion tienne ses promesses tombe sous le sens, même si la concentration de chacun prend le pas sur l’esprit d’équipe. Peu de complicité, d’interactions visuelle et gestuelle participent au minimum d’illusion théâtrale qu’autorise la version de concert. Le choix d’un Cinna baryton au lieu de ténor surprendrait si Tassis Christoyannis ne réussissait une fois encore à concilier chant et diction d’un timbre dont on aime l’étreinte chaleureuse. Sanglé dans un médium d’airain, toujours intelligible, Stanislas de Barbeyrac choisit de flatter le guerrier avant l’amant. De Licinius cuirassé d’une seule pièce, on retient moins les effusions amoureuses que le bras de fer avec le Grand Pontife au dernier acte. Dans ce duo testostéroné, Nicolas Courjal adopte le même parti-pris déclamatoire en un geste vocal surligné au risque de paraître haché. La Grande Vestale offre à Aude Extrémo un de ces rôles qui lui permet de conjuguer l’ampleur et l’étrangeté d’une voix caverneuse à une paradoxale clarté de ton.
Impossible enfin d’aborder La Vestale sans évoquer – invoquer – les mânes des grandes cantatrices, Maria Callas en tête. Marina Rebeka assume l’analogie jusque dans le choix d’une robe que l’on dirait copiée sur le costume de Norma à Paris en 1964 (nous souffle-t-on à l’oreille pendant l’entracte, photo à l’appui). D’un chant dont on connaît et dont on aime le tranchant, la soprano lettone recherche moins les contrastes de couleur que les nuances, le tracé infini de la ligne et la pureté du son, dût la compréhension du texte parfois en pâtir. L’expression n’en est pas moins souveraine et la flamme, douce ou brûlante selon les intentions recherchées, brandie haut comme le laissaient supposer les deux extraits de l’album Spirito, complétés à présent dans quelques mois par l’enregistrement intégral de l’œuvre sous l’égide du Palazzetto Bru Zane.