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Tiefland — Barcelone

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Spectacle
11 octobre 2008
La réponse du berger

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3

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Détails

Tiefland (d’Albert, Boder – Barcelone)

Eugen d’Albert (1864-1932)

TIEFLAND
Drame musical en un prologue et deux actes (créé à Prague en 1903)

Livret de Rudolph Lothar d’après le texte théâtral Terra baixa d’Angel Guimera

Production de l’Opernhaus de Zürich

Mise en scène, Matthias Hartmann

Décors, Volker Hintermeier

Costumes, Su Bühler

Lumières, Jürgen Hoffmann

Chorégraphie, Teresa Rotemberg

Vidéos, Sven Ortel

Sebastiano : Alan Titus

Tommaso : Alfred Reiter

Moruccio : Valery Murga

Marta : Petra Maria Schnitzer

Pepa : Michelle Marie Cook

Antonia : Rosa Mateu

Rosalia : Julia Juon

Nuri : Juanita Lascarro

Pedro : Peter Seiffert

Nando : Marcel Reijans

El capellan : Miguel Roca

Orchestre symphonique et Chœur du Grand Théâtre du Liceu

Direction du Chœur, José Luis Basso

Direction musicale, Michael Boder

Barcelone, 11 octobre 2008

La réponse du berger

En ouvrant la saison 2008-2009 par l’opéra Tiefland, du compositeur Eugen d’Albert, le Liceu rend hommage au dramaturge et poète catalan Angel Guimerà dont la pièce Terra baixa – en français Terres basses – servit de base au livret de Rudolph Lothar. Figure de proue de la Renaissance catalane de la fin du XIX° siècle, Guimerà refusait pourtant les étiquettes. Par là il ressemblait à Eugen d’Albert, dont la production musicale, à en juger par cette œuvre née dans le triomphe du wagnérisme et du vérisme, refuse de s’y asservir.

Tiefland raconte l’histoire d’un homme, Pedro, berger dans les Pyrénées au service d’un important propriétaire terrien qui considère qu’il a sur les êtres placés dans sa dépendance les mêmes droits que sur ses biens. Choisi pour être la dupe dans un mariage fictif destiné à permettre à son maître de continuer à profiter des faveurs de sa maîtresse Marta, Pedro va se révolter. Sa sincérité entraînera la jeune femme, exploitée sexuellement depuis l’adolescence par le féodal, à vouloir se libérer du joug pour vivre avec ce mari d’abord abhorré. Mais le couple ne pourra regagner les montagnes, espace de pureté préservé des souillures de la vie dans les terres basses, qu’après que le berger aura tué le mauvais maître comme il tuait les loups.

Qu’est-ce qui attira Eugen d’Albert vers ce mélodrame ? Au-delà des raisons superficielles – attrait d’un sujet alliant l’exotisme espagnol en vogue depuis Carmen à l’atmosphère de drame paysan rendu populaire par Mascagni – le potentiel émotionnel et dramatique d’une histoire où le bien triomphe du mal, où le faible (socialement) triomphe du fort, où la sincérité est la voie de la rédemption, en somme la matière à relever la gageure de composer une œuvre idéaliste avec des ingrédients réalistes. Et, musicalement, l’occasion de créer des climats musicaux très différents pour exprimer l’opposition entre le monde du haut, celui de la montagne, des grands espaces et des sentiments purs et le monde des terres basses, celui des compromissions, des jalousies et de la corruption. Le prologue en offre déjà l’illustration, avec un thème à la clarinette qui deviendra celui de l’innocence et les dissonances qui accompagnent l’arrivée de personnages provenant des souillures des terres basses.

Tout au long de l’œuvre des couleurs de timbre et des rythmes variés annoncent, soulignent ou commentent narquoisement les situations, telle valse ironique précède Richard Strauss, tel trio féminin de commères rappelle Verdi, tel air lyrique évoque l’Agathe du Freischütz, tel air de Pedro semble issu de Siegfried, tel rythme de fandango ponctué discrètement de castagnettes résume la couleur locale. Pour certains ces échos révèlent un musicien parasite ; nous y voyons plutôt la maîtrise d’un auteur bien décidé à user des langages de son temps pour autant qu’ils lui sont utiles à faire avancer sa composition mais sans vouloir s’y enfermer. Le discours essentiellement composé de récitatifs et d’ariosos donne ainsi une séduisante impression de naturel que les quelques airs ne viennent pas rompre puisqu’ils correspondent à des effusions rendues nécessaires par le caractère du personnage (Nuri) ou l’évolution de la situation (le récit du combat de Pedro contre le loup, la confession de Marta, le duo du nouveau couple).

Fluide malgré sa complexité la partition est servie admirablement par l’orchestre du Liceu, dont le directeur musical conduit une lecture extrêmement fouillée. La précision, la finesse quasiment chambristes, l’équilibre entre la fosse et le plateau, l’intensité sonore et expressive, tout si exactement dosé témoigne de l’entente profonde entre les musiciens et leur chef, et de l’amour de celui-ci pour une partition si méconnue chez nous.

Ce haut niveau qualitatif se retrouve sur le plateau. Certes Alan Titus est peut-être fatigué et le souffle semble parfois un peu juste mais il campe son personnage de débauché sournois et tyrannique avec toute l’autorité souhaitable, comme la belle basse Alfred Reiter est digne et convaincant dans son rôle de sage. Peter Seiffert vient à bout sans faiblesse du rôle exigeant de Pedro, rendant sensible l’évolution du personnage du bon garçon soumis à l’homme révolté tout en soutenant brillamment les passages que l’écriture destine à un heldenténor, en particulier le récit de sa victoire sur le loup. Irréprochables aussi le Moruccio de Valéry Murga et le Nando de Marcel Reijans, aux voix saines et bien projetées de baryton et de ténor.

Les trois commères envieuses sont odieuses et ridicules à souhait (Micelle Marie Cook, Rosa Mateu et Julia Juon) et leurs registres vocaux sont parfaitement complémentaires. A Nuri, la jeune fille que son ingénuité fait traiter en débile légère par les commères, Juanita Lascarro, pourtant éprouvée par une épreuve familiale très récente, prête son timbre frais et son exquise musicalité. Enfin Petra Maria Schnitzer exprime bien les changements d’état d’esprit de Marta, de la raideur initiale à l’abandon confiant de la fin, en passant par la douleur de l’humiliante confession, d’une voix pleine et sûre qui évite tout effet appuyé.

Le bonheur eût été complet si le metteur en scène de cette production venue de Zurich n’avait cru bon de modifier le prologue, censé se dérouler dans les montagnes, en le situant dans un espace indéfini qui pourrait être un laboratoire où dans des vitrines des types humains semblent proposés à des clients comme Sebastiano, qui vient y trouver le nigaud dans il a besoin. S’agirait –il de la version pyrénéenne du crétin des Alpes ? Cette fantaisie, en dépit de vidéos projetant des images de montagnes avec en surimpression les têtes des personnages chantant, supprime le contraste fondateur entre l’espace du haut, celui de la pureté et de la liberté, et celui du bas, lieu qui associe servitude et corruption. A se demander, comme le suggère aussi le traitement du duo d’amour entre Pedro et Marta, à grand renfort de pétales de rose déversés des cintres, déhanchements grotesques du chœur et surexposition en lumière jaune, si l’intention du metteur en scène n’est pas de tourner l’œuvre en ridicule. Tout en reconnaissant la cohérence du travail de ses adjoints, du décorateur à la costumière en passant par la chorégraphe, nous regretterons une recherche à nos yeux inaboutie et inutile.

Reste l’excellence musicale et vocale, dont le Liceu peut être fier, et le plaisir d’avoir découvert une rareté sous nos latitudes, alors qu’en Allemagne l’œuvre appartient, à juste titre, au répertoire.

Maurice Salles

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