La Pietra del Paragone représente un triomphe et un jalon dans la carrière de Rossini, car il s’agit de la première commande officielle de La Scala de Milan à un jeune compositeur de vingt ans.
L’argument en est simple. Méfiant envers les femmes, le riche Comte Asdrubale refuse de s’engager. Il est aimé de la Marquise Clarice mais également poursuivi par les intrigantes Baronne Aspasia et Dame Fulvia. Autour de ces personnages gravitent l’ami du Comte, le Cavalier Giocondo (secrètement épris de Clarice), le poète ridicule Pacuvio et le journaleux pleutre et vénal Macrobio. Afin de démêler les vrais sentiments de la cupidité, le Comte met en place un stratagème, la pietra del paragone (la Pierre de Touche) : il se fait passer pour ruiné. Seuls Giocondo et Clarice lui restent fidèles, le Cavalier en lui promettant sa maison, la marquise son cœur. L’histoire ne s’arrête pas là, car il faut un second acte ! Entre deux histoires de vengeance agitant les personnages secondaires, Clarice prend sa revanche : se faisant passer pour son frère jumeau, elle interdit tout mariage avec le Comte. Celui-ci, désespéré, avoue enfin ses sentiments : Clarice lui pardonne ses atermoiements et tout se finit dans la joie.
Le Festival de Pesaro reprend la production de Pier Luigi Pizzi créée dans ces lieux en 2002. On se retrouve dans une villa moderne et luxueuse dans les années 1960 (le metteur en scène s’est visiblement fait plaisir avec de multiples chemises et robes aux imprimés chatoyants d’époque) chez un riche play-boy. L’intrigue « beautiful people » devient prétexte autour de la piscine à des tenues légères et estivales, le tout animé de parties de tennis et de chasse, de plongeons dans la piscine, de scènes de sport (le Comte fait du rameur pendant le premier air de Clarice) et de nettoyage de la propriété par les domestiques.
D’où pointe alors un sentiment d’ennui dans cet univers de bon goût et face à une certaine agitation sur scène ? Peut-être en partie du manque d’enjeux : on se désintéresse quelque peu de ces personnages oisifs un peu vains et, contrairement à la mise en scène révolutionnaire de Giorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorin au Châtelet en 2007, il manque des trouvailles, des surprises pour maintenir la tension tout au long du spectacle.
Paolo Bordogno (Pacuvio) © Studio Amati Bacciardi
On ne mettra absolument pas en cause la direction trépidante de Daniele Rustoni qui, à la tête d’un l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI virtuose, nous emporte dès l’ouverture dans une folle journée : on note en particulier un soin dans les crescendi qui fait monter le bouffe rossinien en chantilly.
Les seconds rôles comiques sont fort bien tenus. Les intrigantes, Aurora Faggioli (Baronessa Aspasia) et Marina Monzò (Donna Fulvia) sont parfaites de ridicule, acidulées comme il faut. En poète raté (Pacuvio), Paolo Bordogna s’en donne à cœur joie : on retrouve avec plaisir son baryton plutôt clair et bien projeté et son sens aigu de la bouffonnerie. Il fait ainsi son miel du fameux « Ombretta sdegnosa del Missipipi ».
Son comparse Davide Luciano (Macrobio) est irrésistible de puissance et d’aisance dans le chant orné. Voilà qui met en exergue la moindre facilité du Comte de Gianluca Margheri. Le baryton-basse donne de sa personne, chantant la majorité du premier acte en maillot de bain ou en caleçon, ce qui permet d’admirer sa plastique impeccable, au point que l’on se demande s’il n’a pas été d’abord choisi pour elle. Non que sa prestation vocale soit indigne, loin de là, mais si la tessiture est maîtrisée (malgré l’extension inhabituelle de l’écriture vers l’aigu), on regrette un timbre manquant de personnalité et une vocalisation parfois forcée qui ne rendent pas totalement justice au rôle écrit pour Filippo Galli. Cette impression un peu mitigée est peut être en partie due à la fatigue du chanteur, audible en fin de représentation.
Les mêmes maux touchent en partie la charmante Clarice d’Aya Wakizono. La mezzo japonaise semble gênée par la tessiture du rôle, écrit pour un contralto (Maria Marcolini qui avait notamment créé le rôle-titre de Ciro in Babilonia), sa voix plutôt sonore dans l’aigu semblant assourdie et perdant de la projection dans le bas medium et le grave. Le premier air n’est pas le feu d’artifice attendu tandis que l’air guerrier du second acte manque quelque peu d’assise.
Enfin le Giocondo de Maxim Mironov est manifestement peu favorisé par l’acoustique de la salle, disparaissant dans les ensembles. Cela ne l’empêche pas l’aria « Quell’alme pupille » , mettant en valeur l’élégance et la délicatesse du ténor russe, d’être à juste titre très applaudie.