Le rideau s’entrouvre, la diva vient saluer sous les vivats. On lui apporte un bouquet de fleurs qu’elle accepte placidement – l’habitude… On la retrouve aussitôt dans sa loge : que pensez-vous qu’elle fasse en premier ? Elle retire ses chaussures et se masse les pieds. Et puis c’est la solitude, pesante. Toutes les conditions sont remplies pour une bluette douce-amère, aussitôt avortée. La transposition de Zanetto, perle rare amoureusement concoctée par Mascagni en 1896 d’après Le Passant de François Coppée, est habile : on passe de la demi mondaine richissime qui rencontre un musicien vagabond à cette cantatrice adulée qu’un guitariste des rues croise dans les coulisses d’un théâtre. Le côté nostalgique et l’évolution des sentiments sont parfaitement rendus par deux jeunes cantatrices, fort bien dirigées par Bérénice Collet. La belle voix chaude, la musicalité et l’expressivité de Mariam Sarkissian font merveille dans le rôle de Zanetto, tandis que le métier et les qualités vocales de Maria Virginia Savastano rendent totalement plausible le personnage de Silvia, la cantatrice hésitante et torturée qu’elle incarne. L’orchestre OstinatO, aux riches sonorités, et un excellent petit chœur de solistes trouvent sous la baguette inspirée de Iñaki Encina Oyón les tonalités les plus justes pour rendre l’atmosphère tout en finesse du « baume suave et inconnu » de cette brève rencontre.
Malheureusement, avec Abu Hassan, on n’est pas au même niveau, peut-être parce que l’œuvre est mieux connue et que des repères sont plus présents à l’esprit : la turquerie, l’exotisme et la démesure comique, le plus souvent réjouissants. L’idée de départ de Bérénice Collet paraît pourtant intéressante : elle consiste à transposer l’action aujourd’hui, devant une petite maison particulière américaine, sur fond de crises financières à répétition et de malfrats en tous genres. Le décor de Christophe Ouvrard, réaliste à souhait, transporte le spectateur dans un monde proche du sien et pourtant décalé. Le pacha (alias le président You know Who) et son épouse, ainsi qu’un reporter TV, commentent l’action. L’œuvre est chantée, comme Zanetto, en version originale, mais les dialogues parlés sont en français, et le résultat paraît globalement brouillon. Car malgré les efforts méritoires et appréciables des chanteurs, et quelques moment divertissants, ce n’est pas du très bon théâtre, c’est un peu enfantin, trop long, trop lent, ça manque de rythme, et surtout c’est trop en décalage avec la musique pétillante de Weber. Quant au retournement final (Omar tue à la kalachnikov Abu Hassan et Fatime), c’est tout simplement un contresens.
Mais le domaine parlé n’est pas seul en cause. Les qualités vocales et scéniques des interprètes sont souvent également inabouties, encore en devenir. Sami Victor Dahhani a le physique, la voix et l’abattage du personnage principal, mais semble avoir du mal à le construire, avec de plus quelques notes hasardeuses et un souffle parfois court. Nika Guliashvili campe un Omar particulièrement plausible, mais encore insuffisamment assuré vocalement. Claudia Galli (Fatime) tire mieux son épingle du jeu, malgré des poses stéréotypées et un jeu sans nuances : elle chante bien dans le style de Weber, et nous offre quelques beaux moments. L’orchestre, quant à lui, est soudain devenu – avec le même chef – plus lourd, comme s’il peinait à suivre un rythme scénique incertain. Bref, une production encore en grande partie inaboutie, qui aurait mérité d’être plus longuement rodée.