Plus de 10 ans après une première adaptation, le Châtelet accueille une nouvelle production de la Passion selon Saint Jean, signée Calixto Bieito et en provenance de Bilbao, masques en plus. Une fois encore, tout y est aussi bien réglé que ressassé. Le parti pris minimaliste du metteur en scène tend sans doute à toucher par une forme d’authenticité, mais cette esthétique qui se veut aussi pauvre qu’intense a déjà été tellement vue, chez Bieito et d’autres, qu’elle n’échappe pas aux stéréotypes distanciant qu’elle cherchait à éviter. Même si la direction d’acteurs regorge de signes faisant écho au texte, et ne lasse jamais tant elle est précise et efficace, même si certains tableaux marquent l’esprit (la soprano liée à la place de Jésus, l’alto ange exterminateur, l’aigle final), cette beauté plastique ordinaire peine à émouvoir. Il faut également dire qu’abandonnant toute prétention narrative pour se concentrer sur un théâtre d’affect, Bieito fait exister les chanteurs davantage par leur jeu que par leur chant. Et comme souvent chez lui, ce jeu est paroxystique : humiliation au sens propre du terme à grand renfort de terre, poussière et pierres, sanguinolence, lutte sauvage, tremblements hébétés d’une humanité qui chante le sacré mais ne réussit jamais à le voir. Jésus n’est ce soir qu’un condamné parmi d’autres, et une choriste brandit une pancarte « Que sommes-nous ? »
© Thomas Amouroux (Théâtre du Châtelet)
Pour incarner cette vision violente mais hélas inoffensive, tous les chanteurs font preuve d’une louable énergie. Benjamin Appl existe plus par son physique solaire et sa façon de hanter le plateau que par les quelques phrases que Bach lui a confiées. Andreas Wolf est mieux logé et donne à son Pilate des accents et des emportements physiques très convaincants. Robert Murray ne ménage pas sa peine également dans d’éprouvantes scènes de lynchage qui contrastent heureusement avec la très belle tenue de ses arias. Lenneke Ruiten flirte habilement avec les limites de sa tessiture, au point de faire passer ces aigus difficiles pour les stigmates d’une fidèle souffrant dans sa volonté de suivre Jésus, comme dans sa tristesse de voir le Christ mort, mais on aurait aimé une émission moins tendue. L’Evangéliste reporter (il porte une caméra lors de sa première intervention) est porté de façon tranchante et dramatique par un Joshua Elicott en grande forme vocale. Mais ce sont les deux airs de Carlos Mena qui nous semblent les plus marquants de la soirée, et pas uniquement parce que « Es is vollbracht » est le tube de la partition : la prosodie, la ligne, l’ambitus, la projection et la sobriété du contre-ténor sont remarquables et font oublier un timbre assez monochrome.
Mais c’est surtout le Chœur de Paris qui donne son âme à ce spectacle. On pardonnera à ce groupe amateur les attaques pas toujours très nettes, et la justesse souvent en péril, car l’ensemble est suffisamment abouti et professionnel pour que l’on goûte dans leur interprétation la fraîcheur et la prise de risque qui manquent à cette production. Et pour amateur qu’ils soient, aucun choriste ne manque d’energie comme de retenue aux moments opportuns. Les Talens lyriques dirigés par Philippe Pierlot nous offrent une version très équilibrée et minutieuse, au point de manquer de personnalité. Ce n’est pas de la routine, loin de là, mais décidemment, un manque d’inspiration.
Ce spectacle sera disponible en streaming à partir du 4 juin.